mais ce n’ eft plus là ce charme leduifant qui nous
les fait aimer. L'homme* qui ne fait que calculer*
ne ferme que trop fouvent fon ame au fentiment.
A la vue d’une belle forêt il compte combien d’arbres
tomberont chaque année fous la hache du bûcheron
: fi ceux de fon verger développent leurs
branches avec trop de luxe * il en fait arrêter la
végétation 3 cette vigne voudroit revêtir de fes
fouples rameaux l'arbre qui l’avoifine * la ferpe du
vigneron les abat. Tandis que nous admirons ces
campagnes couvertes de moifibns * 8c que notre
oeil contemple avec plaifir les ondulations des épis
verdoyans * le laboureur calcule déjà le tems où
la faulx les enlevera à la terre.
Ces richeffes de la nature , que l’homme a fu
s’approprier * lui ménagent fans doute de grandes
joui fiances j mais font-elles aufti pures* aufii douces ?ue celles qui tiennent au fentiment? Combien de
ois les pallions humaines y jouent le principal
rôle? Pour jouir pleinement des bienfaits de la
nature, il faudroit les recevoir tels qu’elle nous
les donne * & oublier tous les calculs d’ intérêt,
au moins momentanément, pour nous pénétrer du
fpeéhcle impofant de l’Univers. Ecoutons à ce
fujet J.-J. Rouffeau, ce peintre fublime des affections
du coeur.
«« Les arbres, dit-il* les arbriffeaux, les plantes*
font la parure & le vêtement de la terre. Rien n’eft
fi trifte que l’afpeét d’une campagne mue & pelée,
qui n’étale aux yeux que des pierres * du limon &
des fables} mais vivifiée par la nature* & revêtue
de fa robe de noces * au milieu du cours des eaux
& du chant des oifeaux* la terre offre à l’homme*
dans l’harmonie des trois règnes * un fpeêtacle plein
de vie* d’ intérêt & de charmes* le feul fpeâ:acle
au monde dont fes yeux & fon coeur ne fe laffent
jamais. |
» Plus un contemplateur a l’ame fenfible, plus
il fe livre aux extafes qu'excite en lui cet accord.
Une rêverie douce & profonde s’empare alors de
fes fens, & il fe perd avec une délicieufe ivrefle
dans l’immenfité de ce beau fyftème avec lequel il
fe fent identifié. Alors tous les objets particuliers
lui échappent ; il ne v o it, il ne fent rien que dans
le tout : il faut que quelque circonftance particulière
refferre fes idées & circonfcrive fon imagination*
pour qu’il puiffe obferver par parties cet
Univers qu’il s'efforçoit d’embrafler.....
sî Les plantes femblent avoir été femées avec
profufion fur la terre * comme les étoiles dans le
c ie l, pour inviter l’homme* par 1’attràit du plaifir
& de la curiofité* à l ’étude de la nature ; mais les
aftres font placés loin de nous : il faut des inftru-
mens * des machines pour les mettre à notre portée.
Les plantes y font naturellement j elles naiffent fous
nos pieds & dans nos mains pour ainfi dire 5 & fi
la petiteffe de leurs parties effentielles les dérobe
quelquefois à la fimple v u e , les inftrumens qui les
y rendent fenfibles * font d'un beaucoup plus facile
ufage que ceux de l’aftronomie. La botanique eft
l’étude d’un o i f i f , d'un pareffeux folitaire. Il fe
promène} il erre librement d’un objet à l’autre ;
il fait la revue de chaque fleur avec intérêt & curiofité,
& fitôt qu’il commence à firifir les lois de
leur ftruêture* il goûte* à les obferver, un plaifir
fans peine * aufli v if que s'il lui en coûtoit oeau-
coup. Il y a * dans cette oifeufe occupation * un
charme qu'on ne fent que dans'Ie plein calme des
pallions * mais qui fuffït feule alors pour rendre la
vie heureufe & douce} mais fitôt qu’on y mêle un
motif d’intérêt ou de vanité * foit pour remplir des
places ou pour faire des livres} fitôt qu'on ne veut
apprendre que pour inftruire * qu’on n'herborife
que pour devenir auteur ou profeffeur , tout ce
doux charme s’évanouit: on ne voit plus dans les>
plantes que des inftrumens de nos pallions } on ne
trouve plus aucun vrai plaifir dans leur étude} on
ne veut plus favoir, mais montrer qu’on fait} &c
dans les bois on n'eft que fur le théâtre du monde*
occupé du foin de s’y faire admirer......
*» Les odeurs fuaves, les vives couleurs * les
plus élégantes formes femblent fe difputer àl'envi
le droit de fixer nôtre attention. Il ne faut qu’aimer
le plaifir pour fe livrer à des fenfations fi douces}
& fi cet effet n'a pas lieu fur tous ceux qui en font
frappés, c’eft* dans les uns* faute de fenfibilité
naturelle} & dans la plupart, que leur efprit*trop
occupé d’autres idées* ne fe livre qu’ à la dérobée
aux objets qui frappent leurs fens.....
» Une autre chofe contribue encore à éloigner
du règne végétal l’attention des gens de goût :
c'eft l'habitude de ne chercher, dans les plantes *
que des drogues & des remèdes* Théophrafte s’y
etoit pris autrement* & l’ on peut regarder ce phi-
lofophe comme le feul botanifte de l'antiquité }
aufli n’eft-il point connu parmi nous : mais grâces
à un certain Diofcoride * grand compilateur de
recettes * & à fes commentateurs * la médecine
s'eft tellement emparée des plantes transformées
en firnples , qu’on n'y voit que ce qu’on n’y voit
point, favoir : les prétendues vertus qu'il plaît de
ieur attribuer. On ne conçoit pas que l’organifation
végétale puiffe par elle-même mériter quelque attention....:
'
» Ces idées médicinales ne font affurément guère
propres à rendre agréable l’étude delà botanique ;
elles flétriffent l’émail des prés * l’éclat des fleurs }
deffèchent la fraîcheur des bocages * rendent la
verdure & les ombrages infipides & dégoûtans :
toutes ces ftruétures charmantes & gracieufes in-
téreffent fort peu quiconque ne veut que piler
tout cela dans un mortier* & l’on n’ira pas chercher
des guirlandes pour les bergères parmi des
herbes pour les lavemens.....
« Toutes mes courfes de botanique * dit ailleurs
cet homme fenfible, les diverfes impreffions du
local des objets qui m’ont frappé * les idées qu’ il
m’a fait naître* les incidens qui s’y font mêlés *
tout cela m’a laiffé des impreflions qui fe renouvellent
par l'afpeêl des plantes herborifées dans
ces mêmes lieux. Je ne reverrai plus ces beaux
payfages* ces forêts * ces lacs * ces bofquets * ces
rochers* ces montagnes dont l’afpeêl a toujours
touché mon coeur > mais maintenant que je ne
peux plus courir ces heureufes contrées , je 11’ai
qu’à ouvrir mon herbier* & bientôt il m'y transporte.
Les fragmens des plantes que j’y ai cueillies,
fuffifent pour me rappeler tout ce magnifique
fpeétacle. Cet herbier eft pour moi un journal
d’herborifation, qui me les fait recommencer avec
un nouveau charme, & produit l’effet d’une optique
qui les peindroit derechef à mes yeux.
» C ’eft la chaîne des idées âcceffoires qui m’attache
à la botanique. Elle raffemble à mon imagination
toutes les idées qui la flattent davantage.
Les prés* les eaux, les bois * la folitude , la paix
furtout & le repos qu’ on trouve au milieu de tout
cela* font retracés par elle inceffamment à ma mémoire.
Elle me fait oublier les perfécutions des
hommes* leur haine* leur mépris, leurs outrages
& tous les maux dont ils ont payé mon tendre &
fincère attachement pour eux. Elle me tranfporte
dans des habitations paifibles, au milieu de gens
Amples & bons* tels que ceux avec qui j'ai vécu
jadis. Elle me rappelle* & mon jeune âge *& mes
innocens plaifirs } el’e m’en fait jouir derechef,
& me rend heureux bien fouvent encore au milieu
du plus trifte fort qu’ ait fubi jamais un mortel. »
§. III. Des principes de la végétation. Accroijfement
des plantes.
Paffons maintenant à des confidérations qui appartiennent
plus directement à la fcience dont nous
nous occupons* & qui ne font pas moins propres
à intéreffer tout homme qui veut prendre la peine
de réfléchir fur l’ordre admirable que l’auteur de
là nature a établi entre les différens êtres de l’Univers
: on y verra que non-feulement chacun d’eux
a fa place fixée dans l’ordre général * mais encore
qu’il a des rapports tels avec les autres êtres * que
l’exiftence de ces derniers eft attachée à ces mêmes
rapports. Nous tâcherons d’éclaircir * de développer
cette idée* qui ne peut être que la fuite de
l’examen’jlans lequel nous allons entrer en cherchant
à çonnoîtrejes principes desvégétaux ,-les
caufes de leur deyeloppement, 8c les phénomènes
qu’ils nous préfentent pendant le cours'dè leur
exiftencë.
Des femences font jetées dans un terrain fillonné
par le foc de la charrue, & dont la farfacë ne nous
offre aucune apparence de végétation 5 en très-peu
de tems cette-trifte nudité eft recouverte deprai-
nes fertiles* de gazons verts, de parterres fleuris.
Déjà.les.,épis s’élancent de ,l’extrémité de leurs
chaumes : déjà des arbres chargés de fleurs nous
promettent des fruitsdélicieux* & bientôt la grape
■ parfumée s’offrira fur fon cep pliant à la main tendue
pour la cueillir. Cette belle verdure * ces fleurs*
parure brillante de la nature} ces fruits * ces moif-
fons} enfin , cette immenfé fécondité de la végétation
* comment l’avons-nous obtenue ? De quelques
graines confiées au fein de la terre.
Nous fommes trop familiarifés avec cette grande
opération de la nature, pour qu’elle excite en notre
ame cette vive émotion que lui fait éprouver tout
fpeéiacle extraordinaire & impofant : cependant*
comme nous l ’avons fait voir plus haut, un charme
puiffant nous entraîne vers elle , & il n’y a guère
que l’homme tyrannifé par fes paflions* qui foit indifférent
aux merveilles de la végétation. Bocages
frais, afyles folitaires * vous appelez le fage fous
vos ombrages: il y refpire le doux plaifir de l’exif-
tence3 il ouvre fon ame au tendre fentiment de
la reconnoiffance. Auteur fublime de la nature, en
jouiffant de tes bienfaits * il adore la main cachée
qui les lui diftribue} plus il contemple tes ouvrages','
plus il fe pénètre de ton incompréhenfible
puiffance. Tu nas pas accordé à l'homme de con-
noître les caufes fecrètes défi grandes merveilles*
mais tu lui permets d’en fuivre les effets, & d’ef-
fayer de faifir quelques - unes de tes lois. Ainfi
l'homme * qui fuit le développement de la végétation
, fe demande* avec une inquiète curiofité*
comment d'une femence fouvent fort petite peut
fortir cet arbre touffu qui dans peu ombragera fa
demeure.
La vie végétative * ainfi que la vie animale * fera
toujours pour l’homme un phénomène inexplicable.
Nous ne pouvons qu'entrevoir quelques-unes des
caulesqui en favorifent l’exiftence * & les lois que
l’auteur des êtres a établies pour fon développement
: mais cette connoiffance exige de très-longues
obfervations } & ces obfervations , que de
fois ne nous ont-elles pas elles-mêmes jetés dans
l’erreur ! Les plantes nous en fourniront la preuve
fi nous examinons par quelles caufes les hommes
font reftés fi long-tems dans l’ignorance fur Lrs
véritables principes de la végétation, & cependant
robfervation paroiffoit autorifer l’opinion erronée
que d'abord on en avoit conçue. Ce fait mérite
d'être développé.
Long-tems on a cru que la terre dépofée par les
. plantes au moment de leur déeompofition* étoit
celle qu'elles avoient enlevée au fol dans lequel
elles avoient. vécu. En effet * fi nous plaçons des
femences dans de la terre végétale, dans du fable
ou; d.e,f argile , nous ne ;tardons pas à reconnoître
que de çes trois fubftances la terre végétale eft la
plus favorable à la végétation * la feule où elle
puiffé parfaitement réuflir} que les plantes lan-
guiffent,.& fe deffèchent dans le fable * qu’elles
pounifient ou ne peuvent lever dans l’argile pure.