Cet arbre intérefTant n’ a été pendant long-tems
qu’ impai-faitement connu des botaniftes de l’Europe
, quoique cultivé dans plufîeurs jardins où il
réuffiffoit très-bien ; mais il n’y croiffoit que des
individus mâles, dont les fleurs, ne différant en rien
de celles des mûriers , le faifoient avec raifon ranger
parmi ce genre de plantes. Quoiqu’on foupçonnât
î’individu femelle de porter des fruits femblables
à ceux des autres mûriers, néanmoins on étoit jaloux
de les pofféder, & les profeffeurs duMuféum
d’Hiftoire naturelle de Paris, avoient fouvent invité
les voyagéurs qui frequentoient les Indes, de
leur faire l’envoi de ces individus -, lorfqu’un ha-
fard fingulier les en rendit poffeffeurs. Le citoyen
Brouffonnet, naturalise d'un mérite diftingué ,
-voyageant en Écoffe il y a quelques années, y
découvrit un arbre qui le cultivoit depuis long-
tems dans ce pays, 8e fur lequel on n’avoit aucuns
renfeignemens. Au port & aux caractères de cet
arbre ce naturalise foupçonna que ce pourroitbien
être l’individu femelle de ce prétendu mûrier que
l ’on defîroit avec tant d’ardeur. Il en envoya auf-
fitôt plufîeurs boutures au jardin du Muféum de :
Paris, ou elles réunirent fi bien, que peu de tems
après ces arbres offrirent, au grand étonnement des
natpraliftes, de très-beaux fruits d’un rouge v if,
très-différens de ceux des mûriers. Us furent fuivis
& obfervés avec foin par les profeffeurs de cet éta-
bliffement. Lamarck les fit graver dans fes llLufira-
tions des Genres fous, le nom de papyrius y Lhé-
ritier I avoit aufîi décrit 8c figuré , confacrant ce
nouveau genre au favant qui nous en avoit procuré
la découverte j mais Lhéritier, frappé d’ une mort
funëSe , n’a point publié fon travail. Ce genre n’a
encore été décrit que par Ventenat, dans fon excellent
ouvrage , le Tableau du Régné végétal.
Cet arbre s’élève peu : il pouffe, prefque dès fa
bafe, des branches fortes & diffufes. Son écorce
eft grifâtre , fes rameaux nombreux ; ils font couverts
de larges feuilles, aufîi variées dans leur forme
que celles des mûriers ; les unes font entières,
d’autres échancrées en lobes plus ou moins profondément
5 quelques-unes font prefque palmées.
Elles font épaiffes, alternes, pétiolées, d’ un vert
foncé & rudes au toucher en deffus , d’un vert pâle
& un peu velues en deffrns, tantôt échancrées en
coeur à leur bafe , d’autres fois ovales 8c terminées
en pointe, dentéesen fcie à leurs bords. Ces feuilles
tombent dès les premières gelées de l’automne. Les
fleurs font nombreufes , axillaires difpofées en
çhatons pédoncules, cylindriques pour les mâles ,
globuleux pour les femelles.
- Les fleurs mâles, placées fur un chaton alongé,
cylindrique, pédonculé, offrent chacune :
. i°. Un calice divifé en quatre découpures ovales,
concaves , aigües.j point de, corolle,
2°. Quatre étamines y dont les filamens font fu-
bulés, d’abord courbés avant l’entier développe*
ment de la fleur , puis droits 8c plus longs que I»
calice, placés entre chacune de fes divifions.
Les fleurs femelles, placées fur des chatons globuleux
, très-ferrées, réparées chacune par une
écaille, offrent :
i° . Un calice tubulé, élargi à fon orifice, divifé
en trois ou quatre dents aiguës.
2°. Un ovaire enchâffé dans l’extrémité d’un réceptacle
particulier, muni d’un ftyle latéral, droit,
capillaire, très - long, terminé par un ftigmate
fîmple.
Outre 1 réceptacle commun, épais 8c globuleux
qui fupporte toutes les fleurs, du fond de chaque
calice il en fort un particulier pour chaque fleur.
Ce dernier eft très-lïngulier : il eft mou , épais ,
fucculent : renfermé d’abord dans le calice, il fe
prolonge enfuite en forme d'une colonne épaiffe,
terminée en maffue , échancrée à fon extrémité en
pinces d’écreviffe. C'eft dans cette échancrure terminale
que l’ovaire fe trouve renfermé, 8c auquel
fuccède une feule fehrence nue , petite, ovale.
Les chatons femelles, avant l’ entier développement
de leurs fleurs , n’offrent qu’une maffe glo-
buleufe, hériffée de ftyles nombreux, filiformes ,
très-longs j ceux-ci fe flétriffent, & c’eft alors qu’on
voit fortirdu fond du calice les réceptacles particuliers
, qui ne préfentent d’abord que leur extrémité
en maffue , s'alongent infenfiblement, 8c dé-
paffent les calices prefque dq double. Il y a un
grand nombre de fleurs femelles qui avortent, &
dans ce Cas les réceptacles particuliers de leurs
ovaires ne s’alongent point. Cet arbre croît au
Japon 8c dans les Indes : il eft depuis long-tems
cultivé dans les jardins botaniques, où il vit très-
bien en pleine terrë:>( V . v. )
Le papy; ier eft un arbre infiniment précieux par
les ufages économiques auxquels on emploie fon
écorce. Le plus général eft la fabrication du papier.
Celui dont on fe fert dans toute l’étendue du Japon,_
fin ou grofîier , eft fait avec cette matière. Tous
les ans , au mois de décembre, après la; chute des
feuilles, on coupe les plus fortes pouffes de l’année:
on les divifé en baguettes d’environ trois pieds
de long, dont on forme des faifceaux que l’on fait
bouillir dans de l’eau avec de la cendre.
S i, par le retard de cette çpération , ces baguettes
font trop fèches, il faut leur rendre la fou-
pleffe en les mettant la veille tremper dans de l'eau
pendant vingt - quatre heures avant de les faire
bouillir. Lorfqu’ elles font fuffifamment hume&ées,
on les place droites & bien ferrées dans un vafe
d’ airain recouvert, où elles doivent refter jufqu’à
ce que l’écorce fe détache de leur extrémité fupé-
rieure , 8c laiffe appercevoir le boisa nu. Alorson
les retire, & après les avoir laiflees refroidir ott
enlève J’écorce à l’aide d’une incifîonlongitudinale.
C ’eft la matière du papier, qu^on laiffe fécher 8c
qu’on réferve pour les préparations convenable-s.
Elles confiftent dans le choix de la matière 8c fa
purification. On purifie l’écorce en la mettant tremper
dans l’eau ^pendant trois ou quatre heures, de
manière qu’on puiffe enlever avec un inftrument
tranchant l’épiderme coloré. On en fépare également
l’écorce de l’année, 8c l’on met à part la plus
mince qui revêt les jeunes pouffes. Cette dernière
fournit un très-beau papier a’ une grande blancheur,
tandis que l’autre donne un papier gris très-grof-
fier. On réferve pour ce dernier les vieilles écorces,
ainfi que celles qui fe trouvent aux noeuds , qui
ont quelques taches ou quelques défauts.
Les écorces ainfi réparées félon leur degré de
bonté, on les jette dans une eau de leffive, 8c
lorfqu’elle commence à bouillir on la remue continuellement
avec un bâton, en ayant la précaution
<de remplacer par de nouvelle leffive celle qui fe
perd par l’évaporation. On reconnoît que l’opération
eft terminée lorfque la matière eft réduite
en une maffe floconneufe. A cette première opération
fuccède le lavage, qui eft d’une importance
d’autant plus grande, que, trop médiocre, il rend
le papier grofîier, quoique fort ; trop abondant,
il lui donne à la vérité de là blancheur, mais en
même tems il le rend mou , trop peu ferré , 8c ne
vaut prefque rien pour écrire.
Le lavage fe fait fur le bord d ’une rivière, dans
des efpèces de paniers d’ofierqui laiffent échapper
l'eau. Cette matière a befoin d’ être agitée continuellement
avec les bras 8c les mains , jufqu’ à ce
qu’elle foit réduite en une maffe molle , légère ,
comme lanugineufe. On réitère ce lavage dans des
linges pour le papier fin, afin de pouvoir faifir
avec plus de facilité les particules les moins grof-
fières. Enfin, on répète l’ opération jufqu’à ce qu’il
n’y ait plus ni matières étrangères ni particules grof-
fières que l’on deftine pour le papier commun.
' Cette fubftance, fuffifamment lavée, eft dépofée
par deux ou trois ouvriers, fur une table épaiffe 8c
bien polie. On la bat avec des leviers conftruits
avec le bois très-dur du laurier camphrier ufqu’ à
ce qu’elle foit réduite en une pâte très-atténuée ,
femblable à celle d’un papier parfaitement broyée ,
8c; quelle puiffe fe mêlera l’eau comme la farine.
Ainfi préparée, on en remplit un tonneau é tro it,
en y ajoutant des eaux dans lefquelles on a fait in-,
fufer du riz, & la racine mucilagineufe du manihot.
Ce mélange fa it , on l’agite foigneufementav.ee
Un bâton propre 8c mince, jufqu’à ce que le tout
foit réduit en une forte de liquide homogène &
d une confiftance convenable, opération qui réuffit
beaucoup mieux dans les vaiffeaux étroits ; après
quoi on la tranfvafè dans des vaiffi; aux plus grands.
C eft avec cette matière ainfi préparée que l'on fabrique
les feuilles de papier, non dans un moule fait,
comme chez nous, ayec desfils de laiton, mais avec
des tiges de jonc. A mefure queles feuilles fe fabriquent
, on les place les unes lur les autres deffus
une table couverte d’une double natte , ayant la
précaution de mettre entre chacune d’ elles un filet
très-fin que les Japonnois appellent kamakura, c’eft-
à-dire, couffinet, à- l’aide duquel on peut retirer
les feuilles les unes après les autres lorfqu’il eft pé-
ceffaire. Chaque pile eft recouverte par une planche
de la forme 8c de la grandeur du papier, que l’on
comprime d’abord avec des pierres d’un poids médiocre,
dans la crainte que, fî elles pefoient trop ,
elles ne réduififfent en une feule maffe ces feuilles
encore trop humides : on augmente.ee poids infenfiblement
jufqu’ à parfaite ficcité. Le lendemain
on les retire , 8c à l'aide d’une mince baguette dé
rofeau on fépare chaque feuille qu’on met fécher
au folei! : dès que tpute l’humidité eft difparue ,
on les réunit de nouveau par paquets pour les rogner,
les mettre en réferve & les vendre.
Nous avons dit qu’on employoit de l’eau de riz
ainfi que celle où l’on avoit mis infufer la racine
de manjhot. Là première donne au papier plus de
blancheur 8c de confiftance. On la prépare dans un
vafe d’argile non verniffé, que l’on remplit de riz
écorcé 8c humeèlé : on le broie , on l’arrofe d’eau
froide, 8c puis on le. paffe dans un linge. Cette
opération fe répète jufqu’à ce que l’eau ait enlevé
les parties les plus fübtiles du riz. Celui du Japon
eft préférable à tout autre, parce qu’il eft le plus
gras & le plus blanc.
La préparation, de l’eau.de manihot fe.fait de la
manière Suivante. Après avoir b rifé, haché les racines
, on les jette dans l’eau froide, où en moins
d’une nuit elles dépofent un mucilage abondant que
l’on paffe dans un linge pour en féparer toutes les
impuretés. Les proportions de cette eau , dans la
fabrique du papier, varient feion les faifons : il en
faut moins dans l’hiver, davantage pendant l’été y
parce que lès chaleurs nuifent à l'abondance du
mucilage. Si le mucilage eft en trop grande quantité
, il donne trop de fineffe au papier .; s’il n’y en
a pas affez, il refte inégal & rude. Au défaut de la
racine de manihot, on fait ufage de Y avaria japo-
nica, dont les feuilles particuliérement fourniffent
un mucilage abondant, mais inférieur à celui du
manihot.
Il faut, pour la formation des feuilles de papier,
un double moule ou châffis conftruit avec une certaine
efpèce de jonc ; un châffis inférieur qui eft
plus épais ; un Supérieur , compofé de baguettes
plus menues & plus écartées, afin de livrer à l’eau
un paffage facile.
• Ce papier fert à différens ufages. Le plus fin eft
employé pour l’écriture à la main , pour les manuscrits
, les lettres , les billets. On fe fert, pour
écrire, non de plumes d’oie, mais de pinceaux de
poils de lièvre ou de plumes de rofeau. Comme c e
papier perce aifément, on ne peut écrire que d’ua