favorables auspices. L’Académie des Inscriptions l’a protégée (i), et, sous plusieurs
règnes qui tous ont concouru à la gloire et à la prospérité de la France, le Gouvernement
l’a propagée dans les bibliothèques publiques et les établissements
universitaires.
C’est en 1829 que, d’accord avec mon cher frère, je réunissais pour la première
fois mes illustres et respectables maîtres Boïssonade, Thurot, Coraï, avec
mes amis Hase, Letronne, Burnouf père et fils (2), David, N. Manos, N. Piccolos,
et MM. Fix et Sinner, chargés tous deux de coordonner les matériaux déjà rassemblés,
dont M. Hase s’était réservé la mise en oeuvre. Sa science, son amour
pour les études grecques et l’amitié qu’il nie portait l ’avaient décidé à assumer
sur lui seul ce lourd fardeau. Plus tard, secondé puissamment par M. Guillaume
Dindorf et par M. Louis Dindorf son frère, M. Hase, jusqu’à la veille de sa
mort, put voir s’imprimer la dernière livraison du Thésaurus, dont il signait
de sa main défaillante la dixième feuille le 20 mars 1864.
Il semble que, par une bienveillante protection de la Providence, ceux qui se
sont le plus activement dévoués à cette oeuvre si grande, si utile, ont prolongé
leur carrière au-delà de ce qu’il leur était permis d’espérer. Encore une ou deux
années, et M.Boissonade, qui nous a secondés de son concours aussi efficace que
bienveillant pendant trente-quatre ans (il nous a fourni plus de quinze mille articles),
eût pu réaliser le voeu qu’il formait de voir s’achever cette grande entreprise.
C’est avec l ’espoir de cette même protection que je vais entreprendre,
avec MM. Dindorf et M. F. Diibner (3), qui dès i8 3 i s’est dévoué à la coordination
des documents fournis par tant de savants, le Complément du Trésor de
la langue grecque. Parlée pendant plus de vingt siècles dans tous les pays
civilisés, cette belle langue offre une richesse inépuisable que les Inscriptions
accroissent sans cesse, à mesure que la science va les découvrir en Europe,
en Asie, en Afrique, partout où le génie grec a pénétré.
Il serait superflu de si'gnaler ici le mérite du travail de Henri Estienne,
tvJç twv viïv ccx.oviç xpeicTGttv, et d’exposer les motifs qui nous ont fait préférer, à l’ordre
étymologique conservé par Valpy dans la réimpression du Thésaurus groecoe
linguoe (Londres, 1816 à 1828), l’ordre alphabétique que nous avons adopté.
L’Académie des Inscriptions, dans son rapport, en a reconnu l’avantage, et tous
()) Rapportde la Commission composée de MM. Boissonade, Letronne, Raoul Rochette et Thurot,
sur la première livraison de la nouvelle édition du Thésaurus groeccè linguoe.
Ce Rapport, demandé par le ministre des travaux publics, a été lu dans la séance du 7 octobre
i 8 3 i et adopté par l’Académie des inscriptions et belles-léttres.
(2) Dans mon désir de donner à cette édition un nouveau mérite, en offrant les origines sanscrites, je
sollicitais M. Eugène Burnouf d’entreprendre cette tâche; mais il ne jugea pas devoir l’assumer à
cette époque, où la science n’avait pas pénétré assez avant dans ce mystère qui commençait alors
à se dévoiler.
(3) M. Dübner a toujours pris soin de coordonner les citations pour les ramener chacune à une
seule et même édition, ce qui, n’ayant pas été observé dans l’édition anglaise, désespérait quiconque
voulait recourir aux textes. La grande entreprise littéraire (laBibliothèque des tu te u r s grecs), que j ’ai
commencée presque simultanément avec celle du Thésaurus groecoe linguoe, et qui touche aussi à sa
fin, porte en tête de chaque page la pagination de l ’édition citée dans le Thésaurus. Cette concordance,
à laquelle M. Dübner n’a cessé de veiller, accroît l’utilité de ces deux grandes publications.
les savants lui ont donné leur assentiment. C’est ainsi que pôur la langue
française, dont les composés et dérivés sont cependant si minimes, comparés à
ceux de la langue grecque, l’Académie française, dans les diverses éditions de son
Dictionnaire, a substitué l’ordre alphabétique au système étymologique, qu’elle
avait d’abord adopté.
Quant à l’extension que le travail primitif de Henri Estienne a dû prendre
dans la nouvelle édition, cette extension résulte naturellement des recherches
accumulées par les savants de tous les pays depuis près de trois siècles, et du
grand nombre de textes nouveaux publiés depuis cette époque. L’indication
exacte des pages et chapitres des citations (ce que Henri Estienne n’a pu faire)
occupe elle seule une grande place. D’ailleurs, pour peu qu’on étudie les articles
du Thésaurus, on verra que les longues dissertations introduites dans l’édition de
Londres ont été supprimées, « et on reconnaîtra (ainsi que l’Académie dans son
« Rapport) que, loin de nuire à la bonté et à l’utilité du travail, cette suppres-
« sion sert beaucoup à l’améliorer. Un dictionnaire ne doit point renfermer des
« discussions critiques ou grammaticales fort étendues, et moins encore des
« traités entiers sur un nombre plus ou moins grand de questions de ce genre;
« il suffit qu’il présente les résultats les plus sûrs, avec l’indication des textes
« à l’appui et du nom de leurs auteurs. »
Pénétrés de ces principes et se renfermant dans les faits, MM. Guillaume et
Louis Dindorf ont su se restreindre le plus possible dans les bornes prescrites
par leur goût, leur tact critique et leur profond savoir, qui donne à leurs
décisions une autorité universellement reconnue.
Les exemples groupés et accumulés dans chaque colonne indiquent mieux
que des dissertations les nuances de chaque mot; ce sont des faits qui les éclaircissent
et les constatent. A l ’aide de ces témoignages présentés in extenso, l’idée
principale inhérente à chaque mot se dégage, se modifie et se dessine plus
complètement dans l’esprit que par les équivalents latins ou français places
à côté du mot grec.. Quel que soit l e . soin avec lequel les dictionnaires
sommaires et abrégés indiquent les diverses significations des mots, si ces indications
ne sont pas accompagnées d’exemples suffisants, la vraie individualité
du mot, le cercle plus ou moins varié de ses nuances, son rôle complet dans
l’énonciation de la pensée et des sentiments, ne peuvent etre déterminés avec
toute la précision e.t toute la certitude nécessaires. L’étude sérieuse et approfondie
rie saurait donc se trouver que dans cet arsenal d’une langue dont la vie
a duré au-delà de deux mille ans. D’ailleurs, c’est seulement dans un recueil en
quelque sorte illimité qu’une foule de mots spéciaux et techniques peuvent se
trouver réunis. On ne s’étonnera donc plus si ce véritable Trésor forme aujourd’hui
neuf volumes in-folio.
Dans les Avertissements divers placés en tête des premières livraisons, j ai
signalé les noms des savants qui nous assistèrent de leurs conseils, de leurs
encouragements et de leur concours, nous donnant ainsi l’exemple de leur
dévouement et de leur enthousiasme pour le monument que je voulais élever aux