
jouiflancci réelles ou d’amour-propre, le louan-'
geur en auroit parlé. L a renaiffance des Jardins
date de l’époque où le féodalifme commença
à difparoître. Les bourgeois des villes
libres, devenus riches par le commerce, fous la
proteélion de quelque defpote qui lesménageoit
par crainte ou par calcul, ont été les premiers
qui fentirent le befoin des jouiffances de la Nature.
C’eft prè.s des villes commerçantes que les
Jardins fe formèrent, parce que le terrein y
devenant précieux, on voulut y multiplivr les
Décorations dans un petit efpace de terrein, &
l’on voulut dérober aux yeux cette petite étendue,
foit par la variété des deffrns des Parterres,
foit par des labyrinthes & par des furprifes de
divers genres.
C’eft alors que le mauvais goût, dans tous les
genres, défigura la Nature ; on crut beau ce
qui étoit difficile*, les tortillages de rArchiteélurè
gothique, ces fléchés d’églife étonnantes par la
hardieffe de leur travail remplacèrent la beauté
Ample de l’Architeéhire ancienne ; des flatues
de faims, les bras croifés & fans draperie, remplacèrent
la Venus & le Laocoon. Alors auffi
commencèrent les Parterres tortillés, deffinés
en cent manières bifarres ; les bois taillés en
animaux, les arbres tourmentés fous toutes les
formes, & tous ces délires du mauvais goût qui,
fous diverfes variations, vexiflèrent jufqu’au tems
du Speélateur q u i, par une bonne plaifanterie ,
déracina ce faux goût en Angleterre. Alors là
France ployoir encore fon goût fous celui du
vaniteux Louis X I V ; & cet imhécille orgueilleux,
admirateur de Lenotre qui refta au niveau
de la manière de fon iiécle , prolongea
chez les Français, imitateurs, le faux goût qu’il
préféroir.
Le befoin d’ombre a prémuni les Peuples
méridionaux de Ce goût bilarre: il falloit moins
de Parterres que de Berceaux dans un climat
ardent, & les berceaux, mêmes ceux qui étoient
taillés, étoient un pas de plus vers la Nature.
L ’anglomanie, cette mode qui a parcouru la
France ,- ranima enfin le goût du vrai beau :
on ne l'adopta pas d’abord pour lui - même,
mais parce que le peuple anglais l’avoit adopté.
Manie ayiliffante dont des efclaves étoient feuls
capables ! Je n’attaque pas davantage cette fré—
néfie, dont les Français ne fe rendront plus coupables
5, elle a-une fuite heureufe, nous lui
devons ces premiers germes de raifonneroent qui,
par un développement aidé des circonflances,
ont fait éclore la Liberté.
* Les Jardins , la manière de les décorer,
tiennent beaucoup aux Moeurs nationales, indépendamment
des caprices de la mode. Le
Français ffion, confiant, expanfif, ne jouit pas
lorfqü’on ignore fes jouiffances ; ffes "Jardins
font ouverrs, & le payfagifle a’ .foin de conv-
biner les ouvertures avec les profpeéts lointains,
& contribue, par leur richeffe & leur variété
à la beauté du fite Le T u r c , dans les plu
beaux pays, s’environne de murs élevés ; fes
jouiffances font concentrée* dan- ce lieu, dès-
lors le genre de Décoration doit changer. L e
Français pratique des ouvertures, pour marier
les profpe&s éloignés avec les mafiès qui forment
l’avant fcènè , & ces profpe&s bien ménagés,
ces échappées de vues dans des éclaircis inattendus,
augmentent fes jouiffances. Le T u r c ,
dans le même local , ne voulant être vu de
perfonne, ferme toutes les ouvertures ; & pour
mafquer la nudité tles clôtures, il faut qu’il
combine d’autres Décorations. Ainfi les Décorations
tiennent aux Moeurs, & ce qui eft vrai
poitr des exemples directement contraires, doit
exifler pour beaucoup de circonflances intermédiaires.
Genre de Décorations adopté par les divers
Peuples.
On prétend que les Anglais ont adopté le
genre des Jardins paylagiftes, à l’imitation de
ceux des Chinois qu’ils avoient vu dans leurs
voyages ; fi l’affertion eft vraie , ils ont de beaucoup
furpaffé leurs modèles. On en jugera par
l’Extrait luivant d’un Traité des Edifices , Jardins,
& c . , des Chinois, par Chambers, Architecte
anglais.
» Les Jardins que j’ai vu à la Chine font très-
petits : leur ordonnance cependant, & ce que
j’ai pu recueillir des diverfes converfations que
j ûi eues avec un fameux Peintre chinois nommé
Lepqua, m’ont donné une connoiffance des idées
de ces Peuples fur cet art.
» La Narure ëfl leur modèle, leur but eft de
l’imiter dans toutes fes belles irrégularités. Us
cchnmencenr par examiner la nature du lo ca l,
& y adaptent leurs ornemens. » .
» Comme les Chinois n’aiment pas la promenade,
on n’y voit point d’avenues ou allées
fpacieufes : tout eft diftribué pour varier les
fcènes. »
» Us diflinguent trois efpèces de fcènes, les rian tes,
les horribles, les enchantées ou romanefques,&i!s
aiment beaucoup à exciter la furprife. Us cachent
le cours d’une rivière, de manière que fon bruit
fouterrein frappe l’oreille, ils dilpofent des cavités
dans les rocs, pour ménager des échos
finguliers & y accumulent les plantes les plus
bizarres. Les fcènes d’horreur ofirent des rocs
fufpendus, des cavernes, des chûtes d’eau, les
arbres font difformes & paroiffent. viélimes des
élémens ; ils y pratiquent des ruines. Ces fites
fervent ordinairement-de paffageà des fituations
riantes. »
» Lorfque le terrein eft étendu & qu’on peut
ÿ faire entrer une multirude de fcènes , chacune
eft ordinairement appropriée à un feul
point de vue. Mais quand l'efpace eft borné
& ne permet pas affez de variété, on tâche
de rémédicr à ce défaut en difpofant les objets
de manière qu’ili prodmfent des repréfentations
différentes, luivant les divers points de v u e , &
fouvent l’artifice eft pouffé au point que ces
repréfentations n’ont entr elles aucune reffetnblance.
4) , .
,1 Les rivières roulent rarement en ligne droite,
elles ferpentent & font interrompues par diverfes
irrégularités. Leurs Lacs font ornés de machines
hydrauliques qui animent la fcène & de rochers
artificiels A Canton, les ouvriers qui les font
coinpofem une cfaffe particulière, n
» Les Chinois ont foin de varier les formes
de leurs arbres & de les mêler avec foin dans
leurs Bofquets ; outre les arbres & fur-tout Jes
failles dont ils bordent les eaux, ils y plantent
des troncs pirtorefques & portent leur attention
jqfque fur ht- couleur de l écorce 8l la
nature d-s~ moufles qui le couvrant. »
» Quoique les Chinois ne foient pas fort habiles
en Optique, l’expérience leur a apprisque la grandeur
apparente des objets diminué & q ue leurs
couleurs s’affoibliffent à mefure qu’ils s’éloignent
de foeil du ipe&atair. Ces obfervations ont
donné lieu à un artifice qu’ils mettent quelquefois
en oeuvre. 11s forment dés vues en p~rf—
peéîive en introduifant des bàtimens, des vaif-
feaux & d’autres objers, diminués à proportion
de leur.diftance, du point de vue; & pour rendre
l ’illufion plus frappante ils donnent des teintes
grilâtr s aux parues éloignée- de la compofirion,
& plantent dans les lointains des arbres d’une
couK.ur moins vive & d’une hauteur plus petite
que ceux qui paroiffent fur le devant. De
cette manière , ce qui en foi-même eft borné
Sc peu confi iérable a devient, en apparence,
grand & ‘étendu. »
Ces détails font les mêmes que donnent
d’autres auteurs avec moins de circonflances, &qui
m’ont éré confirmés par divers voyageurs ; ils
viennent à l’appui de ce que j’ai dit plus haut
fur l’analogie des moeurs des Peuples avec leur
manière de décorer leurs campagnes, . ,
Les Hollandais, donc le pays & les moeurs
nous repré tentent lé mieux la Chine & les
Chinois, fe rapprochent le plus de leur genre
de Décoration. Des ornemens entaft'és fans goût,
des fabriques multipliées lourdement, défigurent
jes„ Jardins payfagiftes qu’ils ont voulu delfiner ;
il efi vrai qu’un pays artificiel, pour lequel la
Nature n’a rien fait , offroit des difficultés à
vaincre : mais il eft des moyens de D coration
pour cés genres de pays, autres que «les mcastagnes
artificielles, dés ponts, des rochers, &ç.
Ces Jardins, bizarrement deffinés, font une
imitation ou caricature des Jardins payfagiftes,
faite par des hommes qui vouloLn; êire à U
mode étranger?.
Les Jardins du genre national font des parterres,
ou les fleurs font remplacées par des
coquillages & par des verres diverfement colorés;
des Buis, des Ifs & quelques flatues achèvent
la Décoration de ces Jardins, ou Tuin-kuis, où
le négociant hollandais va boire du thé & fumer
fa pipe, depuis le famedi foir jufqu’au lundi
matin. Un pays en plaine uniforme, qui n’eft
diverfifié que par des canaux & des digues, eft
difficile à décorer ; mais cependant des maffifs
de bofquets qui s’éleveroient fur les côtés & fe
changeaient en futaie vers l’extrémité du pay-
fage, & qui borneroient la vue en ménageant
des écla’irqis pour quelques lointains, comme
eau, village, ferme , formeroient un encadrement.
Des maffifs d’arbufies, jettés de loin en
loin, effaceroient l’uniformité d’un boulingrin,
ou de prairies trop uniformes. Cette compofi-
tion , où les grands objets ferviroient à repofer
la vue . vers les limites, préfenteroit bien plus
d'agrément que ces entaffemens d’objets, accumulés
dans un feul point & fans aucun de ces
paffages, qui font naître des fenfations de plaifir
ou de lurprile dans les Jardins payfagiftes.
Les Anglais ont les premiers fenti que les
Jardins paylagiftes doivent être une imitation
de la Nature, qu^ fans accumuler les Décorations
elles’ doivent préfemer une fucceffion des
belles fcènes que la Nature offre fous divers
climats. Un bois mélancolique doit avoir affez
d’étendue, pour que le fite principal, décoré
par quelque fabrique analogue, ne fe trouve
pas accolé avec un fite qui doit réveiller des '
fenfations-direélement contraires. J ’ai fouri lorfque
j’ai vu des ruines dans un lieu fauvage, où
la Nature portuit routes les empreintes de la
deftru&ion, & qui n’étoient féparéés d’un Temple
afiarique & de Jardins fleuris, que par des
finuofités dans un bofriuet trop clair pour former
un rideau. Les Anglais, plus larges dans
leurs conceptions, tracent des malfes plus grandes,
& les paffages entre ces fenfations diverfes modifient
leurs contraftes. -On ne peut, il eft vrai,
remplir cette condition qu’en confacrant à fon
payfage un terrein confidéràble ; mais on peut
encadrer dans fon plan les terres cultivées, fans
nuire à leur culture ; maison peut proportionner
les maffes d’idées qu’on veut exécuter, au
cadre qu’on doit remplir. Le Peintre qui vou—.
droit tracer tous les événemens de la vie d’un
homme, dans un tableau, feroit un ouvrage
déteftable ; & un Jardin payfagifle qui n’offrira
que deux fcènes, même une feule, plaira bien
davantage, lorfqu’elle fera complçtte, que ce
çahos informe & mal digéré que prélentent beaucoup
de Jardins dits Anglais, &. qu’on devroie
nommé Chinois..
: Les Français n’ont adopté que depuis peu
d’années,, le goût des Jardins payfagiftes: Erme-r
nonvilie eft une preuve que lors même qu’ils.
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