
Les citoyens, dans la plus grande partie, vivent '
avec du pain de bled noir, qu’ils appellent carabin.
Ils ignorent abfolument l’art fi néceflaire à la
fan té, la panification. Leur pain de feigle eft
prefqu’auffi noir que celui de farrafin : il eft
lourd & d’une digeftion difficile. Ils ne peuvent
obtenir de bonnes" récoltes que par un travail
excefiif, dans un fol où ils ont à combattre la
f é c k e r e j f e & V humidité. Cet excès de travail, réuni
à la plus mauvaife nourriture, a la privation
de viande , de cidre & de vin , leur caufe, à
l’automne, ces fièvres lentes qui les confirment
& les énervent. '
La ci-devant Sologne eft formée en général
par des plaines applaties. Lorfque les eaux de
pluies y féjournent, pendant les chaleurs, elles
répandent dans l’air des vapeurs^ mal-faifantes.
C ’eft par ces foyers de putréfaction, exceffive-
ment multipliés, plutôt que par les Etangs, qui
repofent en général fur .un fol graveleux & fa-
blonneux, qu’à la fin de l’été , l’air fe trouve vicié
& déforganifé; c eft encore par le débordement
des petites rivières & ruifleaux qu’y forment les
Etangs, & quelques fources dans le voifinages
des bois. Leur lit, par-tout, eft encombré par la
vafe, & obftrué par les joncs & rofeaux. Il peut
à peine fuffire au cours ordinaire : à la moipdre
crue, les eaux couvrent les prés & pâturages.
Ces inondations couvrent les herbes & arbrif-
feaux d’une rouille funefte-, forment ^ dans les
cavités des amas d’eau, qui ne fe dérruifent que
par l’évaporation. Les infe&es, que 1 humidité &
la chaleur attirent & font éclorre, augmentent
encore la maffe de la putréfaélion. C eft par
toutes ces caufes réunies, que les malheureux
habitans de ce pays éprouvent les fièvres automnales,
qui les rongent & les affoibliffent.
Enfin, ce pays eft dépeuplé. Les citoyens, en
général,y font pauvres au malheureux.L’agriculture
y eftmiférable. L ’induftrie rurale y eftprefque
inconnue. Des landes immenfes, des bois taillis
abandonnés, occupent plus des, deux tiers du fo l,
& ce qui eft cultivé fuffit à peine à la nourriture
de ceux qui l’habitent & le fréquentent. Un peu
de feigle, beaucoup de bled noir, quelques vignes
près des chefs-lieux de canton ou diftrict, le commerce
des bêtes-à-laine & du poiffon font toutes
les reffo.urces de la ci-devant Sologne.
Elle a donc abfolument befoin de quelques
Etangs. Mais fon amélioration lie dépend pas
feulement de la fuppreffion de ceux qui font
marécageux*, elle dépend encore d’autres travaux
qui ne peuvent être ifolés & partiels.
j.° Les rivières, encombrées par les vafes & les
rofeaux, doivent être curées, & le cours des eaux
rendu plus libre.
2.* Plufieurs moulins élèvent exceffivement
les. eaux, caufent des fubmerfions ou des marais.
Us doivent être détruirs ou déplacés 9 pour ne
plus nuire.
3.6 Une police rurale publique exigp que ton*
propriétaire inférieur ou contigu admette fur fon
terrein l’écoulement des eaux venant d’un terrein
fupérieur. ■
4.0 Que la République fuive le même ordre
fur les propriétés nationales & fur les chemins
publics que ces eaux traverferont.
En prenant de telles mefures, l’agriculture
prendia bientôt de l’accroiffement. Déjà, un
arrêté du comiré du falut piible, du mois de-
Floréal, rendu fur le rapport de la commiffion ,
a ordonné des* travaux préliminaires, pour rendre
cette contrée à la fertilité & à la falubrité.
Le comité a fous les yeux, depuis le.mois de
Thermidor, un fécond rapport de la commiffion,
pour l’exécution de cet arrêté qui eft connu par
les âdminiftrations de diftriél, & a porté la joie
dans l’ame de tons les habitans de Sologne, qui
afpirent tous au bonheur de voir leur pays falubre,
cultivé & fertile.
B R E S S E .
Département de VAin.
Une grande contrée,-parfemée d’Etangs, fait
partie du Département de l’Ain. Elle étoit connue
ci-devant fous le nom de Brejfe.
Les Etangs vaftes & multipliés qui couvrent
ce pays, méritent d’être obfervés avec une attention
rigoureufe -, car ils paroiflent être l’ouvrage ,
ou plutôt la conquêre de l’homme fur une étendue
immenfe de marais.
Parmi les neuf diftriéls qui compofent le Département
de l’Ain , cinq feulement renferment
des Etangs. Il eft partagé par la nature en deux
grandes divifions abfolument diftinéles l’une de
l’autre.
. La première, qui occupe toute la partie orientale
, & qui comprend les diftriéls de Nantua,
Belley , Gex & Rambert, confifte en hautes
montagnes fillonnées paf des vallons & féparées
par quelques plaines fertiles. Le noyau de ces
montagnes eft ordinairement un rocher calcaire,
dont la bafe eft gratineufe. ( Cette partie étoit
autrefois le Bugey. )
Il réfulte de cette formation de la nature, que
le fol cultivé, qui participe néceffairement du
détritus des rochers, eft léger, friable & perméable
à l’eau. Aiiffi par-toùt le fol le plus efearpé
y eft fournis à la culture. Les'prés , les bois, le«
plantes céréales & légumineufes y croiffent avec
la plus grande beauté. La population y eft très-
nombreufe, comme en général dans tous les
pays montueux. Les hommes y font robuftes,
aélifs & induftrieux ; & quoique dans beaucoup
de parties inférieures, le fol y ait afltz d’adhé-
fion pour faire des retenues d’eau, on ne s’eft
pas imaginé d’y former des Etangs,
i La deuxième divifion, qui occupe toute la
partie occidentale qui comprend les diftriéls de
Montluel , Châtillon , Pont-de- Vaux & la plus
grande partie du diftriét de Trévoux, eft un pays
plat, féparédes montagnes par des rivières, formant
un vafte baffin dont les bords au Sud font
très-élevés} moins à l’eft, & inclinés vers le iiord-
oueft. Au milieu s’élèvent quelques côteaux plus
ou moins rapides, ou des éminences plus ou
moins prononcées, entre lefquelles coulent quel ques
rivières & ruifleaux.
La topographie de ce pays eft réellement extraordinaire.
El le peut beaucoup fervirà faire apprécier
les effets de la loi fur le defféchement des Etangs.
Quoique, de toutes parts, le continent s’abaiffe
vers la Méditerranée, ainfi que l’indique bien
dans cette partie le cours de la Saône^, & ceux
plus rapides encore du Rhône & de l’Ain qui
coulent du nord au fu d } cependant à l’extrémité
de ce baffin , du côté do fud , à quelques milles
de l’Ain , à deux du Rhône qui la circonfcrit de
ce même côté, les ruifleaux & rivières qui baignent
le pays, ont tous leur fource au fud, & leur
pente vers le nord. Les principales rivières vont
fe jetter enfuite dans la Saône.
Ainfi la Reyjfoufe, qui prend fa fource au
fud , près, de l’Ain ,*■ détermine fon cours vers le
nord, dans un fens oppofé à celui de la Saône,
traverfe le f diftriéls de Bourg & Pont-de-Vaux,
& va fe jetter dans la, Saône, au-deffus de la
commune de Pont-de-Vaux, quoiqu’il y ait une
différence de plus de vingt lieues entre le point
parallèle de fa fource & celui de la S^ône.
Ainfi encore , la rivière de Veyle parcourt du
fud au nord les diftriéls de Montluel & Châtillon :
celle de Chalaronne , dans la même direélion,
les diftriéls de Châtillon & de Trévoux, vont
affluer dans la Saône, dans des points plus ou
moins rapprochés de fon confluent avec le
Rhône.
On doif penfer que dans un tel pays, dont
toutes les eaux, excepté celles qui peuvent être
fur les revers du baffin, fe dirigent du fud au
nord, pour venir enfuite couler vers le fud, dont
le fol à la furface n’a que 3 , 4 3 5 ponces de
lèrre végétale, & dont la couche inférieure eft
par-tout une argile compaéle & imperméable à
l’eau, ne doit avoir que très-peu de fources,
qu’une pente foiblemént prononcée, & que,
conféquemment, les marais, les amas d’eau
doivent y avoir été vaftes & multipliés.
Tel étoit dans les tems reculés l’état de la
ci-devant Brefle, trop connue encore par fon
infalubrité & fes Etangs. L’hiftoire du pays & des
aéles anciens prouvent qu’on appelloit Etangs en
Breffe, ce qui n’étoit réellement que des marais.
Vitruve l’appelloit une contrée miférable , oh Us
taux marécageufes occajionnent le goitre.
Le defir û naturel à l’homme de fuir la fervitude,
d’échapqer aux proferiptions des tyrans
d’Italie, & de fe créer une propriété dans un
pays prèfque inacceffible , dont la pofition éloi-
gnoit tous les oppreffeurs, y a appellé & fixé
fucceffivement des hommes d’ Italie, de Savoye
& du Bugey. Quelgue part qu’ils fe foient fixés,
ils fe*font convaincus que leurs premiers travaux
dévoient fe dirigefr contre les «agnations & les
inondations. Les"progrès & les fuccés dans des
defféchemens partiels les ont dû porter à fe délivrer,
de ces vaftes marais & à affainir le fol.
L ’expérience commune les a déterminés à former
des digues pouf contenir les eaux éparfes, &
accumuler en plus grand volume celles qui fla-
gnoient fur des fonds bas & fangeux. Par-tout
on a fenti le befoin impérieux de maîtrifer les
eaux, & de. les forcer d’être utiles à l’agricultufe
& aux ufines.1
Dans les parties baffes, marécageufes, indef-
féchables, que les eaux ne couvroient que fu-
perficiellemetit & alternativement , on a reconnu
que pour les rendre moins peftilencielles, il fal-
loit les couvrir de plufieurs pieds d’eau , & fur-
tout diminuer fur les bords les retraites précipi-
téeé. On a donc conftruit des chauffées avec
des bondes & des déver,foirs à une ou aux deux
extrémités des chauffées, pour verfer le trôp
plein ou arrofer les prés qui doivent fe trouver
communs au-deffous de ces vaftes retenues.
En d’autrèà endroits, l’expérience acquife par
de longues féchereffes dans un pays qui ne jouif^
foit des eaux que par les pluies > & a fait recon-
noître le befoin d’en réferver en grande maffe, non-
feulement pour leur donner plus de mouvement
dans leur cours & y fervir aux irrigations, mais
encore pour fournir en tous tems & fans défordre,
les ruifleaux & les rivières fervant à des ufines.
Indépendamment de ces vaftes réfervoirs, on
a dû encore pratiquer des Etangs plus ou moins
grands, & les multiplier en raifon même des
habitations, fur un pays fillonné par des ravins
I &.alternativement plat & bombé *, parce qu’outre
les épanchemens fiineftes que les Etangs préver
noient, il étoient en.outre néceffaires pour les
irrigations, abreuver les befliaux, rouir les chanvres
& fuppléer, pour tous les ui’ages domefli-
ques, à la difette des eaux de fources.
Tant de digues, tant de chauffées, tant de
retenues, ne fe font élevées fucceffivement fur
un fol auffi difgracié par la nature, que parce
que, chaque année, à mefure que la culture
faifoit des progrès, les inondations ravageoient
les récoltes., en laiffant après elles des milliers
des petits marais ou amas d’eau, dont l’évaporation
vicioit l’air & dont la rouille empeftoit les
fourrages.
Tels furent les immenfes travaux des antiques
Breffans. dont le génie & i’indufirie méritent d’oc^
R r ijT