
La carpe, prife fur le lieu même fe rend
à l’échantillon avec Tes quatre au cen t, c’eft-
à-dire, à la mefure, par pied & pouce,.qui fe
prend depuis le bas de l’oeil jufqu’à 1 angle de
la-fourchette de la queue; les marchands prétendent
que ce doit être deux écailles au-deffus de
cet angle; mais quelque chofe que l’on fafle,
de marchand parvient toujours à trouver fon
compté, car fi on lui vend toutes les carpes
de douze pouces & au-deffus, trois cents livres ,
le millier, ou fix fols la pièce, il rebutera toutes
celles qui feront d’onze pouces, & il demandera
ce qu’il aura rebuté à un prix très- modique ;
voilà ce qu’on appelle le favoir faire du marchand:
c’eft ainfi que M. Duhamel s’explique dans fon
grand traité des pêches.
On ne dira pas que le prix du millier qui
vient d’être indiqué, foit au-deffous de la valeur.
Certainement dans les Département fitués
au centre de la France, il ne monte jamais auiii
haut, à moins que les Etangs n’aient foufferts,
ou par la grande féchereffe ou par une forte gelée.
Admettons donc ce prix dans fa généralité.
Les propriétaires fa vent très-bien par expérience,
que les marchands fpéculateurs fur les poiffons,
forment entre eux une efpèce de confédération
; qu’ils courent rarement fur les marchés des
uns & des autres; enfin, quaprèsavoir employé
toutes lesrufes pofliblcs, ils paient le moins qu’ils
peuvent, parce qu’on eft obligé de paffer par
leurs mains; & fi on écoutoit les raifoimemens
qu’ils accumulent, ils prouveroienr qu’en leurs
donnant le poiffon a la moitié du prix ordinaire,
& même un quart au-deffous de cette moitié,
ils feroient encore en perte, à caufe de l’éloignement
des lieux, de la chéreté du tranfport, de
la perte de la marchandife, &c. J ’ai vu conclure
des marchés dans ce genre; leurs petites menées
font par—tout les mêmes.
Sur vingt milliers de carpes jettées dans un
Etang de cent arpens, l’expérience prouve qu’on
n’en retire jamais les deux tièrs, & jamais la moitié
, fi on y a mis des brochets,
ou à caufe des autres accidens.
Admettons une moitié franche,
le produit fera de..................... 30000 liv-
Cette fomme éblouit, mais fur
cette moitié, il faut déduire
ùn quart pour les poiffons qui
n'auront pas la grandeur requife,
refte donc........... .. içooo liv.
Admettons que l’autre quart
fera vendu. . . .................. 59?°
La fomme totale fera de.......... 20000 liv.
Je demande aù propriétaire,
s’il lui arrive fouvent de retirer
çette fomme d’un Etang de
eent arpens , même en né' comptant pas la mife
première de l ’alevinage ni tes intérêts ? je mets
en fait, que fur cent propriétaires on en trou-*
verà quatre vingt dix huit qui s’abonneront à
douze on dix mille livres.
Ce produit paroit confidérable, parce qu’il
vient tout-à-coup & qu’i le f t en nvaffe ; dès-
lors on juge les Etangs très-avantageux ; un
moment de réflexion & de comparai fon indiquera
à quoi il faut s’en tenir.
Convertiffons cet Etang de cent arpens en
terres labourables, & calculons au plus bas-:
un fond d’une aufli bonne naturç, & fi fortement
engraiffé, produira pendant les trois années
coafécurives, néceffairement dix pour un,
& prefque toujours quinze pour un.
On aura femé par arpent un quintal & demi
dé froment, poids de marc. Le produit fera
donc de quinze cens quintaux.
Le prix du quintal eft généralement parlant?
dans toute la France & au plus ba$ prix à fix
livres, prefque toujours à huit,
fouvent à dix; comptons le à
fix, alors le produit fera par
arpent d e .. . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais il faut prélever la femence,
payer ladixme; ainlî à déduire. •
Refte net cent douze quintaux
qui repréfentent........................
Multipliant ce produit de
672 livres par le produit des
cent arpens, on aura...............
Diminuons à préfent la moL
tié franche, foit pour les frais
de culture, foit pour les impo-
fitions, il reliera net pour le
produit d’une année.. . . . . . .
Si on trouve, que j’ai porté
trop bas les frais de culture ou.
d’impofitions, & que l’on veuille
que ces frais aient confomtné
les deux tièrs du produit, il
. refiera.. ......................................
Admettons encore la vente du
poiffon à quarante pu cinquante
mille livres, ce qui eft exorbitant
pco liv.
300 liv.
672 [lit.
d7200 ÜTo
338CO liv..
20000 livriays
, il y aura encore dix mille livres de
| bénéfice du côté des produits des champs, porté
à une valeur extrêmement inférieure aux prix
des denrées, & à l’abondance des récoltes qu’on
doit attendre d’un fol qui eft ta fertilité même,
lime paroît démontré, jufqu’à l’évidence, qu’une
feule année de culture équivaut, & au-delà ,
au produit de trois années de l’Etang; d’où je
conclus que- les Etangs, font nuifîbles à l’agriculture
en général, s’Oppofent à la population ,
à la multiplication des beftiaux & font préjudiciables
aux propriétaires.
JDc Virifluence des Etangs fur la fonte*
Les maladies endémiques qui régnent dans les
à Etangs, prouvent affez combien leur j
votfinage efl à redouter. Nous rapporterons a
ce fujet quelques exemples, qui prouverons
jufqu’à quel point notre affertion eft fondée.
Avant que l’on eût fupprimé dans la baffe
Lorraine cette immenfe quantité d’Etangs, les
habitans étoienr conftammcnt attaqués de fièvres^
inttermitentes, qui fouvent devinrent épidémiques,
& diminuèrent epnfidérablement la population
: depuis le defféchément des Etangs
on n’entend plus parler de ces maladies jadis il
funeftes pour ce pays, les habitans y jouaient
actuellement d’une bonne famé.
On fait que la plaine du Foréz eft couvert^
d’Etabgs ; on ne doit donc point s’étonner d?y
voir les malheureux habitans pendant neuf mois
de l’année réduits à l’inaélion , & à un état
douloureux & languiffant. La partie élevée qui
borde cette plaine étoit rarement affeélée, au*
jourd’hui, un particulier a fait conftruire un
Etang de cent arpens au pied de la montagne,
& les environs font aufli infeélés que ceux de
la plaine.
Dans la Breffe breffante , l’homme le plus
âgé d’une paroiffe ne paffe pas cinquante ans,
& il eft aufli vieux que le feroit un homme de
quatre-vingt ans par-tout ailleurs#! les femmes
& les enfans ont un ventre ballonné, femblahle
à celui d’un hydropique; enfin cette partie de
la Breffe infeéte l’autre , & la fièvre ëll fouvent
endémique dans les villèsde Mâcon & de Châ-
lorçs, quoiqu’él.oignées des, Etangs',
La ville de Blois, quelquefois celle d’Orléans
font dans le même cas, fi les vent-s d’Eft & Sud-
ell régnent en été pendant quelques jours çon-
fécutifs ; ils apportent avec eiix- les miafmes
élevées fur les- Etangs de la miférable ^Sologne.
Je pourrois citer cent exemples pareils.
Si dans les provinces où îa chaleur eft tempérée,
ils prodüifent des effets fi funefles, oh
doit jugër~ de leurs ravages dans les provinces
méridionales. J ’y ai^vu les habitans obligés^ de
charger fur des voitures les cadavres, parce qu il
he fe trouvoit plus dans le village de gens en
état de les tranfporter au lieu de la fépulture.
Les villages fitués près des Etang?, ou fous
leur vent, reffemblent à des hôpitaux, on n’y .
voit que des fpeClrés, traîner une vie languit-
fante ; la pâleur de là mort eft fur leur vifage,
& le principe de la mort circule avec leur fang ;
on prodigue vainement les remèdes à ces malheureux
, ils épuifent le relie de leurs forces
& anéantiffent leur petite fortune : tant qué le
foyer du mal exille, le remède ell plus dangereux
qu’utile. Pour- y employer les remèdes avec
fuccès, il faut attendre le retour de- lfautomne
ou de Khiver. Terré* infortunée l: terre qu’une
infatiable & mal entendue cupidité a .rendu maudite
, comment êtes-vous encore habitées ? Si
j’étois Curé dans ces cantons, j’affemblerois les
habitans,, je monterois.en chaire & je leurs di-
rois. : ce n’eft pas vivre que de fouffrir perpétuellement
; les maladies vous enlèvent la force
de travailler ; ce n’ell pas affez d’être écrafé
d’infiimités, la misère affiége votre porte, l’enfant
vous demande du pain , & vous ne pouvez
lui donner que des larmes : fuyez ces. lieux pef*
tiférés, abandonnez vos foibles & calamiteufes
poffeffions ; fi vous êtes valets ou journaliers, vous
trouverez par-tout de l’emploi; la fanté vous
rendra des forces, & vous gagnerez de quoi nourrir
vos énfans. Si vous êtes fermiers, ne croyez
pas que vos maîtres barbares, qui vous avoient
abymés dans les fouffrancés & dans rimpoflibi-
lité de travailler, fe relâchent d’un feul denier
fur le prix de la ferme: en fuyant ce fiéjouf de
la mort, forcez-les à venir eux-mêmes cultiver
leurs , héritages, ou à les abandonner. Lorfquc
vous les aurez réduits à cette extrémité, la fouf-
traélion des-revenus, les contraindra à fe procurer
des reffources; ils fe plaindront, demanderont
des fecours, follieiteront, importuneront 3
leur voix pénétrera, jufqu’aux oreilles du gouvernement,
& on viendra à leur fecours. La
plainte de l’indigent paffe rarement le feuild e
la porte; on croit avoir beaucoup fait, lorfqu’on
lui a accordé une piété ftérile. Puiffe le nombre
des curés , capables de parler ain fi,fe multiplier
autant que celui des paroiffes infeélées, & faire
voir qu’ils ont de l’énergie dans i ’ame I Aux
grands maux il faut les'grands remèdes; les palliatifs
les augmentent; la coignée mife au pied
de l’arbre eft le feul-remède. Je fais que les p r o priétaires
des Etangs trouveront ma morale un
peu févère, qu’ils me traiteront même de fédi-
- tieux; mais^eft-ce ma faute fi de.gaieté;de coeur„
connoiffant toute l’étendue du mal, ils perfiftent
! à être non-feulement le fléau, mais encore les
dellruéleuTS de Pefpèce humaine. (i>
La fuppreffion des Etangs eft un objet indif-
penfable; le falut de la maffe y eft attaché, &
ce n’eft pas plus attaquer les propriétés, que
dé prendre du terreîn pour les grandes routes 3
encore dans ce dernier cas, le propriétaire perd
fa pofeflion, au lieu que l’Etang couvert en
terres labourables ou en prairies, augmente fes
, revenus.
Si les communautés ne fui vent pas les fages
conféiîs que je fuppofe donnés par le curé ,
! elles doivent s’affemblër, conflater par des procès
^verbaux bien en règle : i.° le nombre des ha-
; (1) Ceci eft écrit en 1779» depuis cette époque les
• voeux de notre Auteur s'approchent de leur accompliffe*-
ment.