I.
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par les calmes ou les folles brises. Nous ne fîmes vraiment route
que le 4» «vec des vents qui ne cessèrent désoi’mais de souffler
entre l’O. N. 0 . et l’O. S. 0 . ; si bien que notre route put
régulièrement valoir le S. ^ S. O., l’espace de plus de quatre
cent cinquante lieues , sans dévier d’une manière sensible.
Dans la journée du lo janvier, nous passâmes fort près de la
position assignée aux îles Roy al-Company, sans voir ni terre, ni
aucun indice qui p ût annoncer sa proximité.
Depuis le 12 janvier, M. Dumoulin, toutes les fois que l’état
de la mer le permit, observa l’inclinaison de l’aiguillé aimantée,
qui continua de croître avec une régularité satisfaisante depuis
74 degrés jusqu’à 86 degrés environ, là où il nous fut défendu
d’aller plus avant. En outre, je faisais obsei’ver plusieurs fois'par
jour par le cbef de timonnerie Kosmann, sujet précieux par son
zèle pour les observations et les calculs, les variations ; et les registres
de l’expédition en présenteront de nombreuses séries.
La température décrût régulièrement et uniformément jusqu’au
d 5 janvier, où elle ne fut plus que de 2 degrés, tant à l’air qu’à
la surface des eaux. Ce jour même, nous coupâmes la route de
Cook en 1773, et depuis ce moment nous nous trouvâmes sur un
espace demer que jamais aucunnavire n’avait sillonné avant nous.
Le jour suivant, au malin, par 60 degi’és de latitude et i 4i degrés
de longitude, nous vîmes la première glace, masse de 5o pieds
de bauleur sur 200 d ’étendue, débris informe et sans doute de^
puis longtemps travaillé et réduit par le frottement et l’agitation
des flots.
Désormais, nous en vîmes régulièrement, chaque jour, quelques
unes, mais rares, clair-semées et, en général, de dimensions
moyennes. Aussi notre navigation, eu égard à la disparition
presque complète des nuits, fut peu pénible jusqu’au 17. Alors,
par 62 et 63 degrés, les glaces devinrent nombreuses et offrirent
des masses imposantes, plusieurs d’entre elles ayant 3oo ou
4oo toises d’étendue sur lo o ou i 3o pieds de hauteur. Les
grains de neige, devenus fréquents, réduisaient souvent notre
horizon à lo o ou 200 toises de distance. Le jour suivant, on
compta jusqu’à 60 grosses glaces tout autour de nous. Il fallut de
nouveau user de la plus grande vigilance pour éviter d’aborder
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aucune de ces redoutables masses, ou de'se laisser entraîner sur
elles par les courants dans les moments de calme.
Le 19, au matin, par 65 degrés de latitude sud, le froid devint
tr è s -v if-, la température des eaux était au-dessous de la glace
fondante. Quelques pingouins se montrèrent autour du navire;
et le soir, par 66 degrés environ, les glaces couvraient presque
entièrement l’horizon tout autour de nous. Lèvent était tombé,
il faisait un calme profond, et nous ne pouvions plus manoeuvrer
les corvettes. Par bonheur, nous avions pu nous placer sur un
espace un peu plus libre, entre deux chaînes de glaces énormes,
et si rapprochéesqu’elles nous abritaient parfaitement des grandes
houles du large.
Nous avions été déjà plusieurs fois trompés par de fausses apparences
de terre : aussi nous étions devenus, en général, fort
difficileset même un peu incrédules sur ce chapitre ; néanmoins,
dansla soirée, une longue ligne brune, basse, uniforme et régnant
d u S . à l’O. S. 0 ., attira et fixamon attention par sa permanence,
comme la constance de sa teinte et de ses formes, Elle résista au
coucher du soleil, à son absence et à son retour sur l’horizon.
Dès lors je fus convaincu que la terre était sous mes yeux, et il
ne s’agissait plus que de nous en rapprocher suffisamment. J y
tenais d’autant plus que nombre de personnes ne partageaient pas
ma conviction.
Par malheur, la journée du 20, qui nous gratifia d un ciel d u n e
pureté, d’une beauté bien surprenante pour ces climats, ne nous
apporta pas un souffle de vent. Nous restâmes à peu près cloués
en place, éprouvant le supplice de Tantale à la vue de cette te iie
qui excitait si vivement notre impatiente curiosité.
Nos joyeux matelots, qui n’avaient quitté la viande fraîche que
depuis deux ou trois jours, et qui tous, sans exception, se portaient
à merveille, imaginèrent d’employer ce beau temps à une
cérémonie de-leur invention, analogue au baptême de la ligne.
Cette fois, c’était le père Antarctique qui, à la tête de son cortège
burlesque, venait nous ouvrir la porte de ses Etats, m oyennant
une initiation à laquelle chacundenous devait se soumettre.
Je me prêtai de bonne grâce à ces facéties ; les officiers en firent
autant ; ce fut une journée complète de fête et de réjouissances
pour l’équipage de ['Astrolabe. U n’est pas besoin de dire que les