Nous devions êlre des dorniei-s à visiter ie tombeau de l’empereur,
pendant que son corps y reposait encore.......
Une formidable bailerie, surchargée de gros canons et d’obu-
siers, précède, sur le bord de la mer, la porte basse et massive
qui ouvre l’accès de la ville anglaise. Du reste, James-Town n’a
d’unevillequelenom. Elle est habitée par deux ou trois mille âmes
au p lu s , et ses maisons, hautes d’un étage, quelquefois de deux,
petites,chétives, forment une rue unique qui se prolonge dans la
direction d’un ravin encaissé entre les parois des hautes montagnes
qui le dominent. Cette situation de la ville effraie la pensée. 11
semble que la chute d’un fragment de rocher peut à chaque instant
porter la destruction dans ses édifices étriqués, et qu’il
suffirait de lancer des boulets avec la main, du haut des forts qui
couvrent la crête du mont de l’Echelle (Ladder-Hill ), pour ru iner
la ville couchée à ses pieds.
Vers la fin de l’unique rue de James-Town, on atteint une
bifurcation de la route. Le chemin de droite suit le pi’olongemcnt
de la ville, de plus en plus rétrécie; il mène à la chute d’eau de
Briars, près de laquelle on voit encore la maison qui fut habitée
par Napoléon, les cinquante premiers Jours de son séjour
dans l’île. Le chemin de gauche conduit au tombeau de l’empereur.
Il serpente sur les flancs des monts, du côté de la ville. Sa
pente est rapide et l’ascension fatigante. Ln parapet en garnit le
contour fort à propos, car il suflii ait d’un faux pas pour être
roulé jusqu’au fond des précipices qui le bordent.
A mesure qu’on s’élève sur cette route, la ville s’amoindrit de
plus en p lu s; ses maisons s’écrasent. Elles n’apparaissent ulus
que comme des taches blanches et rouges semées sur un sol b run,
comme une sorte de ruisseau coloré coidant vers la mer au fond
d ’une crevasse des montagnes. La mer n’apparaît elle-même qu’au
bout d’une longue fente des terres.
Vers l’intérieur la vue est peut-être moins triste. La cascade
de Briars, projette ses blanches eaux au-dessus d’un vaste entonnoir
creusé dans le roc. Ce filet d’eau brille au bord de la paroi
supérieure de ce bassin n a tu r e l, avant de tomber sous forme
de colonne inclinée, fléchissant au gré des bouffées de vent,
qui partent des hauts sommets pour descendre avec une impétuosité
croissante dans la vallée, et de là vers la rade.
Au pied de celte cascade, sur un terrain élevé, mais assez plat,
sont réunis tous les jardinsde la ville. Ils jettent un lapis de verdure,
qui pourrait faire comparer ce point à un oasis, si son horizon
était plus vaste. La maison qui servit de résidence à l’empereur
est une des plus reculées et la mieux située. Mais là, comme
partout, la vue est bornée par d’immenses rochers nus et stériles,
par des batteries et des forts échelouuésjusque sur les sommets
les plus abruptes, par des murs entassés les uns sur les autres.
Rien ne rappelle mieux l’aspect d’une prison ; libre, il semble
qu’on soit à l’étroit;' la poiliine est oppressée, la pensée s’empreint
de mélancolie. Ün s’élonneprcsqueque des hommes puissent
demeurer, de leur propre volonté, sur une terre semblable.
bientôt le chemin fait un coude et sa pente, désormais trop
rapide, n’est plus tracée qu’en zig-zag. Après avoir dépassé deux
nouveaux contours, on arrive sur un point culminant, d’où l’oeil
embrasse dans le lointain l’immense horizon de l’Océan, et sur un
plan plus rapproché, les ondulations de la mer, frangées d’écume,
qui viennent battre le pied des falaises. De celle hauteur l ’inclinaison
du terrain paraît prodigieuse, il semble qu’il suffirait de
sc laisser glisser pour descendre jusqu’au rivage. Le vent passe
par l'afales glacées sur ce sommet aride et descend, en suivant les
plis de la montagne, vers la mer où il produit, au loin, des changements
de teinte sur la surface mobile des eaux.
La route continue à monter ; elle s’enfonce un peu plus loin
dans un bois de pins , qui avoisine une maison blanche, située
presqu’au point culminant de ce plateau. Le vent arrache aux
branches des arbi’esdes rumeurs monotones et tristes, semblables
au bruitde la mersurles grèves. Leur feuillage sombre, sans cesse
agité, acquiert cependant de la vigueur. Il anime un peu ce triste
paysage.
Bientôt deux roules se présentent; la première suit la crête des