souvent notre horizon à quelques longueurs de navire.
Acculés, comme nous l’étions, entre la terre , d’une p a r t, et la
banquise sous le vent, obligés en outre de courir nos bordées
au travers d’uu espace parsemé d ég la c é s, notre position devint
des plus menaçantes. Je ne pouvais songer à garder une cape
ordinaire sous petite voilure, sans tomber promptement et inévitablement
dans les fatales banquises , où nous aurions été bientôt
démolis; il fallut conserver de la toile assez pour soutenir les corvettes
le plus longtemps possible et les empêcher de tomber sous
le vent. Hciueusement nos solides matures purent résister à ce
rude assaut ; mais, cà moins d’avoir passé par ces épreuves, il est
difficde d’imaginer ce que nos équipages eurent à souffrir en
cette circonstance. La moindre manoeuvre exigeait pour son exécution
le concours de tous les bras et entraînait les plus grandes
difficultés, à cause de la glace qui roidissait les cordages et les
empêchait de courir dans les poulies , revêtues elles-mêmes d’une
croiàte de verglas et de neige glacée.
Je vis que le froid, la fatigue et l’épuisement allaient bientôt
me priver du secours précieux des bras des matelots , si je voulais
tous les conserver sur le pont; au ssi, malgré la gravité du
moment, je les divisai en deux bordées , qui se relevaient d’heure
en heure. L’une des bordées se récbauffiiit autour de tons les feux
allumés, et y séchait ses vêtements , trempés de neige et d’eau de
mer, tandis que l’autre veillait sur le pont ; mais toutes les deux
se réunissaient pour chaque manoeuvre à exécuter. Les officiers
se relevaient aussi par bordées. Pour m o i, abrité sous ma dun
ette, mais l’oeil constamment fixé sur les moindres variations
du temps ou de la mer, je n’en bougeai point pendant toute la
durée du coup de v e n t, et je donnai de là les ordres à exécuter à
l’officier de quart.
Nonobstant tous nos efforts et la voilure effrayante que nous
portions , je m’aperçus bientôt que nous dérivions dans l’o u e s t,
et que si le coup de vent durait plus de vingt-quatre heu res, il
nous restait bien peu de chances de salut.
La position de la Zélée devint encore plus précaire, et me causa
les plus vives inquiétudes. Malgré la fureur des rafales, malgré
1 épaisseur de la neige, elle avait su se maintenir à trois ou quatre
encablures dans nos eaux ; elle avait même suivi notre virement
de bord près de la terre Adélie , quand , a six heures trente
minutes , on me dit qu’elle carguait son grand hunier. Dans une
pareille position , une avarie seule pouvait contraindre le capitaine
Jacquinot à diminuer de voiles, et je lui fis le signal de
liberté de manoeuvre, qu’il ne put voir; car au même instant, un
tourbillon de neige plus épais que les précédents sépara définitivement
les deux navires.
11 n’y eut pas d’amélioration sensible dans notre position jusqu’à
minuit ; mais , à partir de ce moment, le vent s’affaiblit par
degrés, la mer s’adoucit, et l’horizon s’élargit jusqu’à un demi-
mille, quelquefois à un mille de distance. Dans la matinée du 25,
nous pûmes augmenter de v o ile s, et l’espoir vint renaître au coeui
de tous les habitants de l'Astrolabe. Malgré le mauvais temps qui
régnait encore , nous continuâmes hardiment nos bordées pour
nous élever au vent.
Les craintes mêmes qui nous tourmentaient sur le sort de notre
conserve furent peu à peu dissipées. Dès cinq heures , la v igie
crut l’entrevoir un moment, à six ou sept milles sous le vent à
nous , peu loin des grandes îles de glace qui bordaient la banquise
; à neuf heures trente minutes, quelques personnes crurent
l’avoir vue Irès-elairement. Enfin , à six heures du soir, dans une
longue bordée que nous poussions sur la terre, nous reconnûmes
tout à coup et très-visiblement notre fidèle campagne cinglant
sous toutes voiles pour nous rallier; car elle était tombée a près
de sept ou huit milles sous le vent. Aussitôt, je laissai arriver tout
plat sur elle, et deux heures après, les deux corvettes naviguamnt
paisiblement l’une près de l’autre , comme s’il n’était nen arrive.
En ce moment, mon coeur fut soulagé d’un grand poids; car>
quelle que fût la satisfaction que m’eût causée la découverte de la
terre Adélie, elle eût été à jamais empoisonnée par la perte de la
Zé lé e , si une funeste catastrophe eût terminé sa carrière, ou
même s'il m’avait fallu l’abandonner dans ces tristes parages.
Dans la soirée, la mer s’cmbellit; il vint une petite brise de
S. O . , et je conçus un moment l’espoir de pouvoir suivre , celte
fo is , la terre dii côté de l’est après avoir été si brusquement
arrêté dans l’ouest. Toute la journée du 26 fut, en conséquence,
employée à rallier la terre dont nous n’étions p lu s , le soir, qu a
trois ou quatre lieu e s , et à réparer les avaries souffertes dans le
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