à cet âge heureux où la confiance est sans bornes,
où l’avenir est sans limites. Il avait laissé derrière lui
toute une famille éplorée; mais à bord de sa nouvelle
demeure, il avait retrouvé en partie les affections
qu’il avait délaissées, car il était aimé de tous, et il
avait bien sa part à cette étroite fraternité cimentée
entre tous les membres de l’expédition, par les dangers
et les privations qu’ils étaient destinés à braver*^.
Ce fut un jour de grande tristesse pour l’enfant
soumis et affectueux, celui où les corvettes quittèrent
le port de Toulon ; car Gaillard avait une
mère cbérie, dont les yeux s’étaient gonflés de larmes
en voyant s’éloigner, pour un si lointain voyage,
l’objet de sa tendresse maternelle. Mais lui, cette
première douleur calmée, ardent et audacieux,
il s’était abandonné à sa nouvelle destinée ; avec
l’insouciance de son âge, il avait sans pâlir, sans regretter
la terre, supporté toutes les péripéties de la
vie du marin. Gaillard était un noble coe u r , un
brave et courageux jeune bomme, qui avait embrassé
la carrière de la marine, bien décidé à faire dignement
son métier, et, cbose rare encore de nos jours,
il avait su toujours s’y faire aimer.
Quelquefois peut-être, au milieu des nuits ora*
L’amitié la plus é t ro i te , nous ne craignons pas d’être démenti,
unit encore tous les membres survivants de l’expédition au Pôle Sud et
dans l’Océanie; mais, il est douloureux de le dire, un d’entre eux a
fait seul exception ; il a été également repoussé par tous, de cette touchante
association fraternelle. Il serait du reste bien inutile de le
nommer.
geuses, lorsque le vent sifflant à travers les cordages
porte l’âme du voyageur vers les douces rêveries de
sa patrie, il revoyait encore, par la pensée, à travers
quelques larmes arracbées par ses souvenirs, et le
foyer si calme du toit paternel, et ses joies si douces,
et ses heures de si agréables et intimes expansions ;
car les corvettes avaient pris leur mouillage à Hobart-
Town ; les maladies qui avaient décimé nos équipages
allaient avoir un terme, et bientôt ceux qui avaient
heureusement échappé à cette époque désastreuse,
allaient revoir leur patrie.
Et voilà qu’un jour où , entourées de glaces flottantes
arrachées par la mer au rivage de leur nouvelle
découverte , la terre Adelie, les corvettes étaient sans
mouvement, retenues sur les eaux par le calme ;
un signal parait sur le bâtiment amiral, il ordonne
qu’une embarcation montée par les officiers chargés
des observations de physique, se détache de chacun
des navires pour aller essayer de gravir sur une de
ces montagnes glacées. Un canot quitte la Zélée,
c’est Gaillard qui le commande; il vient se réunir à
l’embarcation de Y Astrolabe, et ensuite ils se dirigent
ensemble sur celui des blocs de glace qui paraissait le
plus abordable.
La mer couvrait d’écume les bords de cristal de ces
imposantes masses flottantes ; inquiets sur le sort de ces
frêles embarcations abordant ces terribles montagnes
glacées, tous les officiers des corvettes suivaient, à l’aide
de leur longue-vue, les mouvements de leurs hardis
compagnons. Bientôt des grapins d’abordage furent