gucil et la férocité naturelle de Nakalassé firent place au plus
grand découragement. Nos hommes trouvèrent la place complètement
abandonnée; les portes des maisons étaient fermées. Sur
le champ, le village entier fut livré aux flammes ; le palais de
Nakalassé, l’orgueil et le palladium de son maître (au demeu-
l’a iit, édifice vraiment remarquable pour ces contrées), ne fut
bientôt qu’un monceau de cendres et de décombres.
Cela bût, et ce fut l’aiFaire de deux heures au p lu s, M. Dubouzet
revint à bord avec ses compagnons. Bien que le triomphe
fût plus facile que je ne pensais, je fus charmé de n’avoir trouvé
aucune résistance, et de n’avoir été obligé de causer la mort de
personne, même de Nakalassé. Du reste, Latskika et Tanoa lui-
même m’assurèrent que ce chef était maintenant un bomme
perdu ; cette affaire, pour lu i , était plus funeste que s’il eût
succombé avec ses guerriers en se défendant noblement. L’unique
sort qui l’attendait désormais était d’étre traqué , s a is i, puis
rôti et dévoré lui et les siens, attendu qu’un préjugé religieux lui
interdisait de l’ebâtir son village sur Piva, et q u e , partout ailleurs
, il se trouverait au pouvoir de ses ennemis.
Quoi qu’il en so it, pour compléter notre oeuvre, et à la prière
de Tanoa, nous descendîmes, l’après-midi, dans tout notre appareil
militaire, à Pao, chez Vabouni-valou, où il nous reçut sur
la grande place du lieu, dans toute la pompe de F i l i , à la tête des
vieillards de la nation accroupis gravement, avec leur casse-tête
à la main , et rangés sur deux files , tandis qu’une foule considérable
, groupée aux alentours, observait le silence le plus religieux.
Quand nous eûmes tous pris place, je chargeai Latskika d’expliquer
à Tanoa que nos navires n’étaient point destinés à faire
la guerre aux peuples de 1 Océanie ; mais qu’ayant appris sur ma
route le crime de Nakalassé et ses provocations contre la nation
française, j’avais jugé qu’il fallait châtier une pareille insolence.
Le crime de Nakalassé était d’autant plus odieux qu’il n’avait été
provoqué en aucune manière par 1e capitaine Bureau. C’est pourquoi
j avais ruiné de fond en comble P iv a , et pareil sort était
réservé à tout chef qui tenterait d’insulter, sans motif, un navire
français. La punition pourrait être quelquefois tardive à
cause des distances ; mais elle sei’ait toujours infaillible. Quant
à lu i , Tanoa , et à son peuple de Pao, nous les regardions comme
des amis, et j’espérais que l’union et la bonne intelligence régneraient
toujous entre eux et les Français.
Ces paroles, qui avaient pu exiger cinq ou six minutes de ma
part, pour les proférer lentement et gravement, furent reprises
par l’éloquent Latskika; il en fit une véritable harangue qui dura
près de trois quarts d’heure , prononcée avec une pose, une dignité
et une assurance que nous admirâmes tous , et qui parut
faire la plus profonde impression sur tous les chefs et le peuple
de Pao. Latskika interrompait par moments son discours, et à
dessein, pour écouter l’effet de ses paroles. Alors les principaux
chefs répondaient gravement par le seul mot saga ou binaka,
c’est ju s te , c’est b ien .“
Je remarquai pourtant quelques chefs qui gardaient une
figure triste et morose, sans jamais approuver, mais sans oser
contredire, et je sus ensuite que c’étaient les partisans de Nakalassé,
consternés de sa ruine. Mais l’immense majorité fut pour
les Français. Quelques tours d’exercice de la mousqueterie nous
valurent de vifs applaudissements ; puis Tanoa fit apporter des
vivres pour tous ses hôtes. 11 vint dîner avec moi à bord , où je
lui fis des présents, ainsi qu’au brave Latskika, qui s’était parfaitement
comporté dans cette affaire ; enfin tous deux prirent
congé de moi et s’en retournèrent à Pao.
Ce qui fit le plus d’impression sur l’esprit des naturels, ce fut
la rapidité avec laquelle notre expédition fut conduite. Tanoa, la
veille, avait souvent témoigné ses craintes sur le succès de notre
entreprise ; il avait même pensé que nous n’aurions pas osé attaqué
Nakalassé dans son fort, ou du moins qu’il nous aurait fallu
plusieurs jours pour le réduire. Aussi sa surprise fut grande
quand il vit que Piva était livré aux flammes , même avant que
le soleil fût levé. La nouvelle en fut vite répandue dans toutes les
îles de fa r chipel, et partout nous étions précédés par la réputation
d’hommes qui avaient vaincu et ruiné Nakalassé, la terreur
de toutes ces îles.
Alalgré la nature essentiellement scientifique de notre campagne,
il me fut agréable, amiral, d’avoir pu remplir, en cette circonstance,
la partie de vos instructions où vous me recommandez
la protection et les intérêts de notre commerce, toutes les fois que