Nous croyons avoir déjà assez longuement parlé
desopinions politiques deDumont-d’Urville, pour qu’il
soit parfaitement inutile d’y revenir. Au reste, deux
mots suffiront pour les rappeler : sauf quelques préjugés
aristocratiques, derniers souvenirs de l’éducation
maternelle, d’Urville était profondément libéral. Mais
nous avons dit aussi, etnous le répétons encore, sous les
dehors brusques du marin et le caractère chagrin de
l’homme si souvent trompé dans ses espérances, se
cachaient un coeur sensible à l’excès, une âme compatissante
à toutes les infortunes. Sans aucun doute,
la famille exilée constamment entourée, quelques
jours auparavant, de courtisans empressés, et habituée
à un langage toujours louangeur, allait trouver
une différence bien grande dans son contact avec ce
marin rude, mais bienveillant, âpre, mais juste et
compatissant; les paroles qui, sur les questions
des princes déchus, sortiront de la bouche de Dumont
d’Urville animé de sentiments patriotiques,
ennemi juré de toute flatterie, et n’ayant jamais compris
qu’il fût possible de déguiser son intime pensée ,
seront bien différentes de celles des bommes composant
l’entourage du prince exilé, et dont les conseils
trompeurs avaient consommé la ruine ; mais quoiqu’en
aient pu dire ses détracteurs, la conduite du
commandant de Y Astrolabe, sera en tout point convenable;
sans doute, il ne pourra, d’un jour à l’autre,
changer en entier sa nature ; ses formes seront brusques
, son langage conservera toute sa franchise et un
peu de son âpreté ordinaire; mais il mettra tous ses
soins pour assurer, dans cette courte traversée, le
bien-être de ses illustres passagers ; sans s’éloigner des
règles du devoir, il saura témoigner à la famille détrônée
tous les égards, tout le respect que comporte
une si grande infortune.
Du moment où d’Urville fut chargé de cette
pénible mission, mettant de côté tous ses ressentiments
personnels , toutes ses opinions politiques,
il ne vil plus, dans la famille remise à ses soins, que
des princes malheureux confiés à sa sollicitude; il prévoyait
bien alors que, grâce à ses opinions libérales,
grâce à l’entourage des princes détrônés, qui continuait
auprès des enfants de France , trop jeunes encore
pour juger eux-mêmes sa conduite envers
eux, pendant leur séjour à bord de son vaisseau
; il prévoyait bien, disons-nous, que plus tard
il serait en butte à d’injustes accusations; aussi
n’eût-il pas accepté cette mission, s’il n’en eût bien
compris toute l’importance. Esclave du devoir,
d’Urville n’hésita pas un instant. Il crut de son honneur
de donner cette preuve de dévouement à la
cause nationale.
Mais il fallait partir à l’instant même pour aller fréter
au Hâvre deux paquebots américains, le Great-
Britain et le Charle s-Car o il, les conduire à Cherbourg
et là , attendre Charles X , pour être prêt à le
transporter sur-le-cbamp au lieu qu’il voudrait désigner.
Le 3 août , d’Urville quitta Paris. Le 7i ks deux
paquebots étaient amarrés dans le port de Cherbourg;
et, grâce à celte activité surprenante dont il fit