d’Urville fut prévenu qu il n’y avait que du biscuit à
bord ; le boulanger du bâtiment élant resté à terre, il
n’y avait pas de pain ; fatigué de ce contre-temps, non
pour lui-même, habitué qu’il était depuis si longtemps
aux privations de tout genre, d’Urville ne put consentir
â voir la famille royale réduite a la nourriture
grossière des marins. Malgré ses instructions, malgré
les avis du pilote qui le prévenait qu’il n’y avait pas
de temps â perdre, s’il voulait sortir dans la journée, il
voulut attendre qu’un canot envoyé à terre pût rapporter
du pain, au risque peut-être de compromettre
sa responsabilité. Celte preuve de sollicitude ne iutcer-
tainementpasladernière. Pendantlessixjoursque lafo-
mille des Bourbons resta âborddu Great-Britain,\eca-
pitaine passa deux nuits sur le pont, afin de leur laisser la
disposition entière des appartements ; et respectant leur
aversion pour la couleur ti’icolore,il s’abstint déporter
son uniforme. Toutefois, n’oublions pas de dire que
c’est à d’Urville que revient l’honneur d’avoir fait reconnaître
le premier notre pavillon national sur les cotes
anglaises, où depuis les jours de l’empire, il reparaissait
pour la première fois
* Extrait du voyage du capitaine Dumont-d’ürville en Angleterre, pour
y conduire Charles X et sa famille (mémoires inédits).
Jeudi 19 avr il 1830. — a Pour me conformer à l’esprit de mes instructions
qui me recommandaient d’éviter toute espèce d’appareil qui pût
être désagréable à nos passagers, j’avais profité de mon court séjour sur
la rade de Spit-Hcad pour éviter de traiter des saints et de me présenter
aux autorités de Portsmouth. J ’espérais que notre relâche devait être au
plus de 48 heures devant Cowes; je pouvais p a r t i r , comme j’étais venu,
presque inaperçu. Mais Charles X ne me parlait plus de son départ, et je
sus qu’à terre le peuple anglais paraissait surpris que je n’eusse fait aucun
Le voyage s’acheva sans événements bien remarquables.
Pendant la relâcbc â Cowes, les princes parcoururent
les livraisons déjà publiées du voyage de
VAstrolabe, et regrettèrent beaucoup que le cbef
salut. Le pavillon tricolore reparaissait pour la première fois devant les
enfants d’Albion, et il était de mon devoir qu’il fût authentiquement reconnu,
si mon séjour devait se prolonger sur cette rade...
Vendredi 20 août. — A 6 heures du matin , je me rends en grand
uniforme à bord de la Seine ; à 7 heures, nous nous mettons en roule
pour Portsmouth avec le capitaine Thibault, oflicier plein d’honneur, de
zèle et de probité.
En arrivant à terre, le consul et son üls nous conduisirent à la taverne
où nous fûmes proprement servis, suivant la coutume anglaise. Le dé-
jcûner fini, pour m’éviter toute démarche désagréable et sonder les dispositions
des autorités anglaises à notre égard, j’envoyai le jeune Van-
der-bcrg chez l’amiral Folley, commandant de la marine, pour le prévenir
de notre arrivée dans Portsmouth et lui demander s’il était disposé à nous
recevoir; le consul et son fils me répétaient que cette précaution était
inutile et que tout le monde serait flatté et honoré de nous recevoir, ajoutant
que le peuple sc soulèverait, si l’on nous faisait la moindre impolitesse;
je leur répondis que je n’étais point venu pour exciter une révolution
dans Portsmouth, et que je devais être basé positivement sur l’accueil
que J’allais recevoir des autorités.
Le jeune Van-der-berg resta une heure absent; déjà ce retard me paraissait
d’un singulier présage , quand il revint m’annoncer qu’il n’avait
pu voir l’ami ra l , mais que celui-ci lui avait fait dire par son secrétaire
qu’il ne pouvait me recevoir avant lundi, et me faisait, du reste, des excuses.
On peut juger que cette réponse me parut tant soit peu inconvenante,
pour ne pas dire impertinente. Comment, moi, chef de la division française,
chargé de la conduite de la famille déchue, je me donnais la peine
de me rendre de Cowes à Portsmouth pour faire, une visite de politesse à
M. l’amiral, et M. Folley n’était point disposé à me recevoir avant lundi...
Je commençai à croire que cet oflicier, pris au dépourvu, attendait des
ordres de son gouvernement, afin de savoir quelle conduite il devait tenir
envers moi, et qu’il pouvait y avoir quelque chose de vrai dans l’avis officieux
que m’avait donné Charles X. Piqué au dernier degré, je me plaçai
au bureau de M. Van-der-berg et grilïonnai sur ie champ le billet suivant :