sont les bois solitaires, les prairies verdoyantes, et
tous les lieux où la nature parle aux sens et à l’âme;
il aime la liberté des champs, se récrée avec les
plantes, et reste, pendant de longues heures, enseveli
dans des rêveries profondes, absorbé dans la
lecture de VHistoire du peuple de Dieu.
Et cependant, son instruction, jusqu’alors confiée
à quelques prêtres réfugiés chez sa mère, se réduisait
à peu de cbose ; il avait appris le Catéchisme historique,
la Bible, le Dictionnaire ecclésiastique, lorsqu’en
1798, son oncle, l’abbé de Croisilles, frère de madame
d’Urville, vint se fixer auprès de sa soeur. Cet ecclésiastique,
d’une érudition très-étendue et d’une grande
portée d’esprit, consacra tous ses soins à l’éducation
si négligée de son jeune neveu. C’est alors, comme
nous l’avons déjà dit, qu’une ère nouvelle s’ouvrit devant
cette vive intelligence, qui n’avait besoin, pour se
développer, que d’un guide capable de la diriger.
Quoique d’une santé toujours faible, Jules D’Urville
se livra à l’étude avec une ardeur extraordinaire.
(( Le travail, a-t-il dit lui-même, me semblait une
(c chose si naturelle, si satisfaisante, que je n’ima-
(( ginais pas comment un enfant eût pu désirer s’j
« soustraire. Le peu que je vaux, j’en suis redevable
(( à mon bon oncle, dont le savoir était aussi ai-
« mable que varié. Au bout de deux ans, je traduisis
(( assez couramment Quinte-Curce et Virgile; je sus
(c l’arithmétique et de la géométrie. » Les vies de Plu-
tarque, a dit l’un de ses historiens, l’histoire de la découverte
de l’Amérique et le théâtre de Racine étaient
ses livres de prédilection. Sa mémoire, par la suite
prodigieuse , quant aux lieux , s’exercait alors sur les
poètes, et il récita sans faute un chant de l’Enéide. A
douze ans, il dévora un cours de rhétorique, et il
apprit en trois mois l’algèbre du premier degré.
Quoi qu’il en soit, si l’on se reporte à l’époque où
ces événements se passaient, c’est-à-dire de 1798 à
1802, on comprendra comme nous que c’était-là,
pour le jeune d’Urville , une étrange éducation. Entouré
de prêtres attachés aux principes de l’Eglise
catholique, Jules d’Urville était d’une piété remarquable
; sa mère s’était constamment efforcée de lui
faire partager les idées aristocratiques auxquelles
elle était si fort asservie; et dans l’agitation générale
de ce temps, il était impossible que ce vent de
révolution qui soufflait de toutes parts, passât, sans
l’effleurer au moins, sur cette jeune imagination avide
d’indépendance et de liberté. Aussi, ne pourrions-nous
dire la lutte incessante qui s’était établie dans cette
jeune tête rêveuse; lutte pleine de raisonnements et de
passions, où les idées les plus opposées se livraient bataille;
lutte, il faut bien le dire, qui accompagna
l’enfant, devenu homme, jusqu’à son tombeau. Dans
ses dernières années encore, on pouvait reconnaître
dans le marin, vieilli par les fatigues et les travaux,
et les traces maternellement aristocratiques, et les
souvenirs patriotiquement républicains de son enfance.
Dumont-d’Urville ne fut jamais homme du monde, et
s’il eut le coeur d’un gentilhomme, il eut toujours
l’écorce d’un plébéien.