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sième, bien que son examen lui permît d’entrer dans
la classe de seconde d’bumanités. Son but était d’avoir
beaucoup de prix à la fin de l’année; son calcul fut
pleinement réalisé. Ces succès, loin d’être acceptés
avec joie par sa mère, devinrent pour elle le sujet
d’une profonde douleur. Elle voyait, en effet, par là
ses plus cbères espérances détruites ; la gloire militaire
devait rapidement enflammer cette jeune imagination
, et la faire renoncer pour toujours à l’babit
ecclésiastique.
Or, l’enfant avait emporté avec lui ces désirs de
renommée qui^ devaient nécessairement prendre des
forces au milieu de celte génération, tout enivrée
des succès militaires de l’empire. C’était alors, comme
il l’a dit lui-même, un enfant faible et malingre,
petit de taille, au visage pensif, aux cbeveux plats.
Ses jambes grêles, son gros ventre, sa grosse tête,
cet air morose qui ne le quittait presque jamais,
furent plus d’une fois l’objet des railleries joyeuses
de ses jeunes amis; mais lui, sans paraître y prendre
garde autrement que par ce sourire triste et fin à
la fois, sous lequel il déguisait si souvent ses impressions
douces ou amères,il allait toujours poursuivant
ses cbères rêveries. Rarement on le voyait prendre
part aux jeux bruyants de ses condisciples; au travail,
nul n’avait plus d’ardeur ; aux heures de repos, nul
n’était plus silencieux et plus grave; parfois pourtant,
de sérieuses discussions, où les projets d’avenir n’étaient
pas oubliés, s’élevaient en tre lui et ses deux amis,
ses rivaux d’étude, Fagon et Cerisy. Son absence
totale aux jeux de ses camarades l’avait fait surnommer
le rhéteur!
Pourtant, ce n’était point le rhéteur qu’il eût fallu le
nommer, mais bien le rêveur : car c’était, en effet, un
rêve continuel que la vie de Julesd’Urville; c’était tout
un combat qui se livrait dans celte jeune tête. L ’existence
de nos écoliers d’aujourd’hui ne peut en rien se
compai’er à celle des lycéens de l’empire. Le collège,
à cette époque, était comme tous les autres lieux en
France, comme le théâtre, la tribune, les salons, les
endroits publics, le collège était alors une réunion
d’êtres pensants, où les questions politiques si graves
et si audacieuses du temps, se traitaient sous tous les
points de vue ; où l’on plaidait le pour et le contre ; où
chacun donnait son opinion sur les événements du
jou r: seulement, là, ces questions étaient peut-être
traitées avec plus de chaleur que partout ailleurs ; les
plaidoyers étaient plus audacieux, et les opinions plus
neuves et plus originales; et puis, il y en avait bien
peu, parmi tous ces jeunes enfants, qui n’eussent un
père, un frère, un parent sous les drapeaux; il y en
avait peu dont le nom ne se fût pas trouvé parmi ceux
des braves inscrits, après un jour de bataille, au bulletin
de la grande armée. Or, c’étaient de beaux jours
pour tout le lycée, que ceux où, par les grandes
portes tout ouvertes, on voyait s’avancer un père, un
frère, un parent, la poitrine couverte de broderies et
de décorations, le visage noblement sillonné par le fer
ennemi. C’étaient alors des cris de joie, et des chants
de triomphe ; et puis ces braves soldats de l’empereur.