même danser dans le voisinage du tombeau; ils foulaient aux
pieds ce sépulcre, en poussant des cris sauvages. Aucune précaution
ne fut prise pour mettre à l’abri de profanations aussi
outrageantes ce lieu qui devait être saci'é à tant de titres; les
propriétaires du sol n’y mirent aucun empêchement. Ce ne fut
que bien plus tard, cinq ans environ après la mort de l’empereur,
qu’un successeur de IIudson-Lowc , mieux inspiré , fit ériger la
palissade qui existe encore, et nomma un gardien pour veiller à
l’entretien des lieux. Il fit en même temps planter quelques
cyp rè s, transporter du gazon, et donna enfin à cette enceinte
l’aspect qu’elle a conservé depuis.......
Prévénantc, affable même, madame Torbett inspire un certain
ixispcct. Par l’effet même des senlimens qu’on ressent après la
visite du tombeau, 'on est naturellement induit à interpréter la
tristesse de son maintien et à considérer ses [vêtements de deuil
comme un témoignage de douleur, comme un hommage accordé
à la mémoire de Napoléon, tandis qu’en réalité, ce n’est peut-être
qu’un calcul d ép lu s. J’étais malheureusement trop prévenu par
les discours du gardien , son ennemi autant que son concuri-ent
auprès des voyageurs , pour partager cette première impression
favorable. Presque tous mes prédécesseurs, dans la chaleur de
leur enthousiasme, avaient mêlé le souvenir de Napoléon à
l’accueil qu’ils avaient reçu chez madame Torbett, et, sur sa demande,
ils s’étaient empressé d’écrire en sa faveur les attestations
les plus élogieuses et les recommandations les plus vives
adressées à leurs compatriotes. Dans la liasse de ces attestations
placées devant nous , pour stimuler sans doute notre verve, j’en
remarquai plusieurs, écrites avec une emphase inouïe. Du reste,
presque toutes les nations avaient apporté leur contingent de
pensées grotesques , grotesquement exprimées. Los Français se
faisaient remarquer, et cela se conçoit, par l'expression d’une sensibilité
plus v iv e, mais, il faut l’avouer, conçue en termes tout
aussi bizarres.
L n de ces certificats annonçait au public que celui qui l’avait
donné, était venu visiter le tombeau avec sa femme et son fils, et
qu’il avait fait un bon déjeûner chez la compagne du grand homme.
Ln autre, tout en vouant les Anglais à l’exécration , remerciait
madame Torbett de l’intérêt qu’elle portait aux restes de Napoléon,
et lui promettait la reconnaissance de la nation française.
Luc autre attestation était ainsi conçue : « Les deux soussignés,
« provençaux, frères compatriotes du grand Napoléon, à qui nous
« sommes venus rendre hommage, accompagnés de nos épouses,
« flattés de l’accueil de cette bonne veuve, nous implorons l’in -
« dulgencc qu’on doit au malheur. » Sur une autre feuille, un
artiste dramatique, un dignitaire étranger, un général, un mousse,
un cuisinier, un avocat et un officier avaient successivement
inscrit leurs noms à des dates différentes, et franchement on ne
saurait à qui décerner la palme.
Tous ces écrits concouraient au même but : celui de remercier
madame Torbett de son hospitalité généreuse. Il semblait que ce
fût un devoir pour tous les voyageurs, et particulièrement poulies
Français, d’exprimer une profonde reconnaisssance envers une
personne qui voulait bien recevoir leur argent et qui poussait le
dévouement jusqu’à tenir auberge.......
Ln sentier tracé dans le ravin, derrière la maison de madame
Torbett, abrège la distance qui sépare le tombeau de Longwood.
11 aboutit à la route assez large et assez belle qui s u it , comme je
l’ai déjà dit, la crête des montagnes. Le sol du ravin est aride et
sec; quelques broussailles y croissent à peine. Sur la grande
route, la végétation est un peu plus fournie. Ce chemin est bordé
de chaque côté de grandes plantes qui forment des haies assez
bien entretenues ; il se dirige vers une porte massive, reconnaissable
à deux bombes en fer qui surmontent ses pilastres.
Cette porte s’ouvre sur le domaine de Longwood, résidence de
l’empereur.
A l’entrée, le regard s’arrête d'abord sur un plateau plus verdoyant
que l’espace qu’on vient de parcourir. A u -d e là de ce
plateau , une succession de montagnes, de cônes a igu s, de pics
.taillés en aiguilles, se développent sans interruption jusqu’à la
mer, qu’on aperçoit au loin, comme une sombre bordure de cet