102 NOTICE BIOGRAPHIQUE,
ville (le s’élever parfois aux plus haut es considérations
philosophiques. Au reste, il était impossible (lu’il en fût
autrement; l’homme de trente ans croyait avoir eu
déjà trop à se plaindre des bommes et des choses,
pour que son âme, en quelque circonstance que ce
lût, ne pût trouver matière aux réflexions graves,
aux idées tristes, aux pensées amères. Telle était donc
sa vie. Ardent au travail, nul ne fut, pendant toute
la campagne, plus intrépide et plus infatigable que
lui, soit dans les moments critiques de la navigation,
soit dans les courses aventureuses, à travers des pays
inconnus, nécessitées par le but même de l’expédition
; et lorsqu’au retour de ces scientifiques et laborieuses
promenades, ses compagnons , accablés de fatigue
, s’empressaient de chercher de nouvelles forces
dans le repos et le sommeil, presque toujours d’Urville,
sans sommeil, sans repos, mettait en ordre,
classait, étudiait et les plantes et les insectes, et toutes
les richesses qu’il avait recueillies.
Ce furent deux années bien remplies, deux années
où le savant marin fit faire bien des progrès aux
sciences dont il s’était particulièrement chargé : la botanique
et l’ethnologie. Toutefois , qu’on ne croie pas
que là se bornèrent ses travaux : il n’est pas une seule
branche du grand arbre scientifique qui n’ait été l’objet
de ses soins ; tout était matière à observations
pour cet esprit avide de connaître : un oiseau qui s’ébattait
sur les vagues, une plante qui paraissait dans
le sillage du navire, tout lui fournissait matière à de
graves et sérieuses études. Que de nuits il passa à observer
celte lueur phosphorescente que l’on voit toujours
dans le remous des vaisseaux'! La vue d’une terre
à laquelle se rattachaient quelques souvenirs histori-
* J'avais le quart de minuit à quatre heure s , et durant tout ce temps
j ’ai pu examiner à mon aise le phénomène de la phosphorescence. Il se
développait surtout dans toute sa magnificence, dans les lames brisées
par l'éperon du navire. Là, je voyais se succéder à chaque instant de
larges nappes argentées, assez semblables pour le fond de la couleur et les
effets de la lumière, à certaines portions les plus brillantes de la voie
lactée. Au milieu de ces nappes, et presqu’à leur surface, jaillissaient en
tous sens des jets d’une lumière bien plus vive, et figurant parfaitement
les étincelles des chandelles romaines dans nos feux d’artifice; puis ils
filaient rapidement le long du bord, sous la forme de globules enflammés,
auxquels on eût distinctement assigné moins de six lignes de diamètre.
Ces globules attirèrent mon attention, et j ’étais fortement préoccupé
de l’idée qu’ils devaient-êtr» produits par quelqu’animal. Leur dimension
apparente me fit penser d’abord que je pourrais facilement les saisir pour
les examiner. Dans ce but, M. de Blosseville et le maître canonnier, Rolland,
s'unirent à moi pour tâcher d’en attraper quelques-uns ; mais à peine le
filet d’étamine était-il sorti de l’eau que le globe lumineux se réduisait à
un simple point et finissait bientôt par s’éteindre et disparaître complètement,
sans qu’il fût possible de deviner ce qui avait pu produire un éclat si
vif. J ’allais être près d’en conclure que le phénomène appartenait immédiatement
aux gouttes d’eau de mer, lorsque M. de Blosseville me fit re marquer
un de ces points lumineux qu’il avait réussi à fixer sur le bord
d’un morceau de papier. A la vue simple, je vis alors un atome semblable
à un brin de poussière ; mais armé d’une forte loupe, je reconnus bientôt
un animalcule qui paraissait tenir du poisson et du crustacé; je remis
au jour l’examen plus attentif de cet entomostracé ; voici quel en fut le
résultat :
Pour corps une enveloppe papyracée , pellucide, et vide intérieurement,
terminée d’un côté par une apparence de tète munie d’un bec pointu
voisin de celui des poissons; tête carrée, totalement aplatie ; abdomen
renflé, presque vésiculeux, terminé par une sorte de queue cylindrique et
finissant absolument en forme de nageoire; un autre appendice inférieur
à cette queue m’a paru se terminer en pointe.
L’analogie me portait à penser que cet appendice ne devait pas etre unique,
et j’allais m’occuper de la recherche du second, lorsque M. Bérard,
qui avait eu la complaisance de me tracer l’esquisse de cet entomostracé,
le laissa tomber, et il se trouva brisé dans sa chute. M. Bérard avait re