ionl naître de péiùljles impressions ; elles deviennent poignantes,
lorsque le gu id e , faisant contourner l’édifice, vous
conduit dans l’écurie qui a servi de logement particulier à l’empereur.
Oui ! c’est à peine si on peut en croire ses yeux; l’appartement
de Napoléon, le lieu où il est m o r t, a été changé en
écurie ! —
Les râteliers de quatre chevaux occupaient l’espace de sa
chambre. Dos harnais étaient déposes là où fut son cabinet de
toilette. Des immondices jonchaient le sol. Devant un pareil
tableau, le coeur le plus froid doit ressentir une profonde émotion.
Après avoir parcouru cette écurie , nous n’avions plus envie de
rien voir. Nous savions quel spectacle nous attendait à Longwood ;
nous étions prévenus, et cependant il produisit en nous unecruelle
et profonde impression. Nous comprîmes parfaitement alors les
sentiments de ceux qui inscrivaient, sur le registre placé dans la
première sa lle , des invectives et des récriminations adressées au
gouvernement anglais. Leur indignation était bien naturelle,
seulement ils n’avaient pas songé que des manifestations inutiles
sont au moins puériles , et qu’une nation qui ose tenir une pareille
conduite est encore plus insoucieuse de sa propre dignité
qu’elle ne porte atteinte à l’admiration et à la renommée de celui
qui fut son prisonnier volontaire.
Ce registre, rempli de démonstrations énergiques ou de plaintes
amèi’e s, est une preuve que la vue de Longwood produit
sur les voyageurs un effet plus triste que celle du tombeau. Dans
c e lu i-c i on a lu l’arrêt du destin , tandis qu’à Longwood on a
cru reconnaître les signes d’un orgueilleux mépris.
Au milieu de toutes les pensées tracées sur ce volume, on remarquait
celle-ci de la main d’un Anglais :« Qui que vous soyez,
« considérez la vanité de la gloire humaine. Celui qui en a été le
«(plus couvert est mort ic i, et sa demeure n’est plus qu’une
«( ferme. »
.Au-dessous une main française avait écrit en anglais : <( Honte
« alors à celui qui a souffert cette dégradation. 11 est plus digne
« d’être un portier de théâtre qu’un lord, »
Sur un autre feuillet, on avait inscrit ces lignes : <■ Mes chers
« amis les Français, ne croyez pas que tous les Anglais ne respec-
« tent pas la mémoire de votre empei’eur. Je puis vous assurer
n que beaucoup d’entre eux ont de la sympathie pour votre na-
« tion. » Une autre main avait écrit au-dessous : A second Byron.
Ces deux inscriptions sont à noter, car elles sont exceptionnelles.
Ordinairement les Anglais [se contentent de signer tout simplement
leurs noms au-dessous delà date de leur visite. Malgré
les vives attaques des Français, ils restent impassibles. Ils se
bornent à nommer invariablement Napoléon le général Bonaparte,
et vraiment, en voyant encore maintenant cette opiniâtre
persévérance du caractère anglais, on ne sait si on doit
s’étonner davantage de la prodigieuse destinée du guerrier ou de
l’inébranlable constance de ses ennemis à le combattre ; constance
qui lui survit et qui le poursuit encore jusque dans les moindres
actes qui se rattachent à sa mémoh’e.
Nous quittâmes ce lieu devenu si malheureusement célèbre,
en jetant un dernier regard sur l’édifice de Longwood , sur
la mer sombre qui borne l’horizon , sur l’avenue formée par des
ai’bres souffreteux incessamment secoués par le vent. Nous dîmes
un dernier adieu à cette partie de l’île qui nous avait paru d’abord
plus riante que les autres portions que nous avions vues. Mais
nous avions éprouvé quelques instants l’impression de la captivité;
et sous le poids de nos pensées , nous avions senti qu’on peut
mourir de chagrin dans un pareil séjour. Le vent ne cesse jamais
de souffler avec violence sur ce plateau entièrement découvert.
Les nuages y passent à fleur de terre, voilant et découvrant alternativement
les élévations voisines. 11 y fait froid et humide. On est
transi. On ne dirait pas qu’on se trouve sur une terre située sous
les tropiques.
En passant devant le tombeau, nous nous arrêtâmes encore
quelques instants. Le gardien m’aperçut de loin, et vint m’offrir
de boire de l’eau du ruisseau qui coule tout auprès. « Napoléon,