M. Deshayes considérant la dureté des corps perforés par les Mollusques Acéphales , ne peut « se
» persuader que ces animaux emploient des moyens mécaniques pour parvenir à leur but. » De là, il
croit « pouvoir établir qu’aucune coquille perforante n ’aurait assez de solidité pour produire sans usure
» sur ses bords et sans altération des fines aspérités qu’elle porte, un trou si petit qu’il soit. » Aussi,
l’auteur engage-t-il quiconque croit à la perforation mécanique des Mollusques Acéphales, de tenter de
creuser une pierre avec la coquille de l’un de ces animaux.
Makré l'absence d’observations, M. Deshayes admet chez’lés Acéphales la sécrétion d’un acide
assez puissant pour attaquer les pierres les plus dures. Mais l’fnimal est dans l’eau, comment l’acide
sécrété ne serait-il pas aussitôt entraîné par la masse du liquide environnant; comment la coquille ne
serait-elle pas détruite bien plus aisément que la pierre? M. Deshayes, allant au-devant de ces! objections,
suppose dans le manteau des Acéphales l’existence d’un organe sécréteur spécial, que l’animal
« appliquerait longtemps sur la paroi qu’il doit attaquer ; par cette application, la liqueur sécrétée
» serait mise en contact avec le corps qu’elle doit dissoudre, sans être préalablement délayée dans
» l’eau. »
En terminant, le savant conchyliologiste adopte l’opinion que l’organe est trop étroit dans la Pho-
lade et quelques autres types, pour être en contact à la fois aveo toute la portion de la cavité habitée;,
sans s’embarrasser de cette difficulté, il ajoute que lè soin de l’animal consiste « à l ’appliquer successi-
» vement sur tous les.points de la cavité qu’il habite (1). »
M. Thorent acceptant les idées émises par M. Deshayes, assure qu’il résulte d’expériences faites sur
plusieurs individus « de la Pholas crispata de nos côtes, que la présence d’un acide libre sécrété par
» cet .animal n’est pas douteuse, et que c’est dans les parties intestinales quei cet acide existe, ainsi
» que l’a fait reconnaître l’application sur cette partie du papier de tournesol. »
Selon l ’observateur que nous venons de citer, la matière muqueuse produite par lès Mollusques et
qui constitue sur certaines coquilles la substance connue sous le nom de drap marin, neutraliserait les
effets de l’acide sur le Mollusque et sur la coquille (2).
Un savant bien connu par ses voyages en Nubie et par ses études sur les Mollusques, M. Cailliaud, s’est
occupé d’une manière toute spéciale des moyens de perforation employés par les Acéphales qui se logent,
soit dans les pierres, soit dans le bois. Déjà en '1843, il soutenait que les trous formés par les Pholades
étaient dus à un effet purement mécanique. « Nous avons reconnu ce mouvement de rotation, disait-il,
» dans les excavations des Pholades, dans le calcaire tendre, argileux, du grand port de Malte; leurs
» trous sont souvent empreints des stries très-prononcées formées par les parties anguleuses des
» valves, comme si elles avaient été faites au tour sur la pierre (3), »
O n ia vu; un des plus grands arguments des naturalistes qui attribuaient à l ’action d ’un.acide les
excavations des Acéphales perforants, c’est qu’aucune coquille ne résisterait au frottement nécessaire,
pour user des pierres d ’une grande dureté. On ne pouvait mieux répondre à cela que ne l’a fait
M. Cailliaud.
Ce naturaliste choisit des coquilles de Pholades de divers âges; après avoir attaché les deux valves
.(4) Quelques observations au sujet de la perforation des pierres par les Mollusques. — Journal de Conchyliologie, publié par
M. Petit de la Sanssaye, t. I, p. 22 (485Ó).
(2)-De la perforation des pierres par les Mollusques. — Journal de Conchyliologie, 1.1 , p. 171.
(3) Notice sur le.Gastrochêne, par M. Cailliaud. — Magasin de Zoologie, Mollusques (1843).
l’une à l’autre à l’aide d’un peu de cire à cacheter, tantôt1 en rapprochant complètement les valves,
tantôt en les éoartant légèrement, pour se mettre dans les conditions où l’animal se place lui-même, il
opéra dans l’eau et sur les pierres où des Pholades s’étaient établies. Dans un très-, court espace de
temps, même en se servant des coquilles d’individus fort jeunes , en moins d u n e heure et demie,
l’expérimentateur avait ainsi creusé avec son fragile instrument un trou de 18 millimètres de profondeur
et de 11 1 /2 de diamètre (1 ). - .
Après cette victorieuse démonstration, M. Cailliaud chercha néanmoins de nouvelles preuves, et
réussit à en apporter plus d’une.. Il fit remarquer encore, dans les excavations pratiquées par les Pholades,
les crénelures creusées par les aspérités des coquilles; il constata sur un nombre considérable
d ’individu's, l’usure des aspérités, des brisures sur. les bords, les fractures si fréquentes .des pièces
accessoires ; accidents dus au travail exécuté par l’animal.
Comme on le sait, les Pholades habitent d’ordinaire les roches calcaires, facilement attaquables par
les acides; cette circonstance semblait autoriser l’opinion que les trous étaient produits par l’action
d’un agent chimique. M. Cailliaud eut l’heureuse chance de rencontrer sur les côtes de Poulinguen ,
près l’embouchure de la Loire, des centaines de Pholades logées dans une roche ignée-, le gneiss sur-r
micacé ; or, ici, il serait difficile d’admettre l’action de l’acide.
L’observateur a répété sur le gneiss l’expérience qui lui avait réussi sur les pierres calcaires;
là encore, il est parvenu, avec plus de peine il est vrai, à creuser lui-même avec des coquilles de Pholades
des trous d’une certaine profondeur (2).
S’il ne s’agissait que de simples’assertions, on pourrait peut-être ne pas cesser de douter, mais
M. Cailliaud a montré à toutes les personnes qui s’intéressent à ces sortes de sujets d ’histoire naturelle,
les pièces les plus propres à convaincre; il en a déposé dans différents Musées, il a opéré en présence
de plusieurs personnes ; tous les faits qu’il a avancés sont irrécusables.
Le même auteur a réuni dans un travail qui vient d’être couronné par la Société des sciences de
Harlem, l’ensemble de ses. observations sur les moyens de perforation des Mollusques Acéphales. Nous
aurons plus tard sans doute à citer cet ouvrage.
D’un autre côté, un observateur écossais, M. Robertson, dont les recherches ont été livrées à la publicité
plus récemment, s’est occupé du même sujet. Il a tiré des fcholades de leur retraite et les a placées
sur des piérres dans des vases remplis d’eau de mer, de façon à voir s’exécuter sous ses yeux le
travail d ecés animaux. Il a vu alors le Mollusque se servir de ses valves comme d’une râp e , agissant
quelquefois d ’un côté avec une seule v alve; la pierre pulvérisée était rejetée par le pied dans la cavité
palléale et expulsée p ar le siphon branchial. L’observateur a constaté que pendant le travail, la coquille
décrivait dés mouvements oscillatoirés, une sorte de demi-rotation, que l’animal lui imprimait à l’aide
de son pied. De là, l’auteur conclut que les Pholades n’ont pas d’autre dissolvant que l’e a u , ni d’autre
moyen que leur coquille agissant à la manière d’une râpe, et leur siphon à la manière d’une seringue.
M. Robertson, qui a p u , à Brighton, conserver ces Mollusques chez lui, déclare avoir rendu témoins
de leur travail un grand nombre de pérsonnes, et notamment le célèbre paléontologiste, le docteur
Mantell (3).
Ajoutons que sur toute la côte qui s’étend du Havre à Étretat, des milliers de Pholades sont enfoncées
dans une sorte de tourbe, dans laquelle on ne parviendrait pas à creuser des trous à l’aide d ’un
(1.) Nouvelles observations au sujet de la perforation des pierres par les Mollusques. — Journal de Conchyliologie, 1 .1, p.-363
(1860).
(2) Note sur un nouveau fait relatif a la perforation des pierres par les Pholades. — Nantes, 1852.
(3) Notice sur la perforation des pierres par le Pholas dactylus. — Journal de Conchyliologie, t. IV, p. 311 11863).