Il n’est pas sans intérêt de voir comment ont varié les opinions des zoologistes relativement au
nombre des types principaux dont se compose la classe, des Oiseaux, et par suite au nombre des divisions
primaires. On puise là un enseignement utile. On reconnaît bien vite que ces classifications qui se
succèdent, où les ordres sont plus ou moins multipliés, ne s’appuyant pas sur des observations, mettant
en lumière des faits jusque-là inaperçus, n’amènent pour la science aucun progrès très-sensible. On reconnaît
aussi que les classificateurs, s’attachant en général beaucoup trop au nombre des représentants
de leurs groupes, ont donné à ces groupes, surtout de notre temps, une importance que ne justifient
nullement les caractères qui les séparent les uns des autres. A la faveur même de cette absence de caractères
précis, toutes les combinaisons ont pu se produire sans paraître extraordinaires.
Nous ne nous arrêterons guère aux essais de classifications ornithologiques qui ont précédé l’apparition
des ouvrages de Linné. Quelques mots suffiront pour en faire comprendre la nature.
L’idée d e grouper les Oiseaux d’après leur genre de vie et d’après la conformation de leurs pieds
date dé: loin. Aristote distinguait ces Animaux en-espèces qui prennent leur nourriture à terre, en
espèces qui fréquentent les lacs et les rivières, en espèces qui vivent sur la mer, en espèces qui, ayant
des membranes entre les doigts, passent la plus grande partie de leur vie dans l’eau. Puis il distinguait
les Oiseaux carnassiers dont les ongles «ontrecourbés (Rapaces); ceux qui se nourrissent des fruits* de
la terre (Pigeons); ceux qui se nourrissent de moucherons (Pics); ceux qui vivent de vers, en ajoutant
les espèces qui leur ressemblent et qui se nourrissent de baies (Passereaux). Il signalait encore en particulier
les Oiseaux dont les doigts et les ongles sont presque droits, mais qui sont armés d ’un ergot
comme le Coq. •.*•
Il faut ensuite arriver jusqu’à la seconde moitié du seizième siècle pour-trouver quelques idées
émises au sujet des rapports naturels des êtres. A l’égard des Oiseaux, Pierre Belon doit être cité le
premier. Cet auteur n a pas sans doute établi une véritable classification ornithologique; seulement, à la
manière dont il a partagé son travail, il est manifeste que les affinités naturelles l’avaient préoccupé.
La partie descriptive de son ouvrage forme six livres : le premier est consacré aux Oiseaux carnassiers
et nocturnes (Rapaces), auxquels e st joint le coucou (Cuculus); le second, aux Oiseaux de rivage dont
les pieds sont palmés (Palmipèdes), ce qui n'empêche pas d ’y figurer la poule d ’eau (Gallinuld) ; le
troisième, aux Oiseaux aquatiques dont les pieds ne sont pas conformés pour la natation (Echassiers et
Alcyons); le quatrième, aux Oiseaux des champs qui font leur nid à terre (Gallinacés, Autruche,
Alouettes, Bécasses); le cinquième, aux Oiseaux qu’on trouve en tous lieux (Corbeaux, Pies, etc.,
Perroquets, Pics, Pigeons, Merles), e t le sixième, aux petits Oiseaux qui fréquentent les haies et les
buissons (petits Passereaux) (4).
On le v oit, plusieurs des divisions principales de la classe des Oiseaux admises depuis par un grand
nombre de naturalistes ont été au moins indiquées par Belon.
Nous ne nous arrêterons pas aux écrits d’Aldrovandi concernant l’Ornithologie, car là il n ’y a guère
de faits utiles à rapporter (2).
(1) Histoire de la nature des Oiseaux, etc. — Paris (1555).
(2) Ulyssis Aldrovandi Ornithologioe, etc. (1599).
Plus tard , un naturaliste anglais, Willughby commença à s’occuper des caractères zoologiques (4).
Mais c’est surtout son célèbre compatriote Jean Rai qui songea à classer les Oiseaux, non pas seulement
d’après leur genre de vie, mais aussi d’après les caractères fournis par leur bec et leurs pattes. Sa
classification est loin sans doute* d ’être satisfaisante ; néanmoins elle mérite d’être examinée. Rai distingue
d’abord les Oiseaux en terrestres et en aquatiques, puis il les répartit dans une vingtaine de
sections; là première comprend les Oiseaux de proie de grande taille (Aigles, Vautours).; la seconde,
les moyens (Éperviers) ; la troisième, les Oiseaux de proie de petite taille indigènes, auxquels sont réunies
les Pies-Grièches ( Lanius); la quatrième, les Oiseaux de proie exotiques, dont sont rapprochés les Paradis
; la cinquième, les Oiseaux de proie nocturnes ; la sixième, les nocturnes anomaux (Engoulevents).
Dans tout ceci, on voit que l’auteur s’est préoccupé de faits insignifiants, comme la taille, les nuances
de plumage, etc,, et qu’il a peu examiné les vrais caractères. Une section comprend les Qiseaux frugivores
à bec et ongles crochus (Perroquets) ; une au tre , les espèces dont les ailes sont inaptes au
vol et le bec peu crochu (Autruche) ; puis viennent les Oiseaux à bec gros et droit (Corbeaux, Pies),
puis les Oiseaux terrestres à bec long (Alcyons); ensuite les Gallinacés, ensuite les Pigeons et successivement
les Frugivores à bec fin (Merles, Grives), les petits Insectivores (Hirondelles), les Granivores
de grande taille, ceux de moyenne taille et ceux’ de petite taille indigènes et exotiques; enfin les
Oiseaux aquatiques à pieds fendus (Héron, Bécasse, Vanneau, etc.), et les Palmipèdes (2).
Linné ne s’inquiète plus, comme ses devanciers, des habitudes ou du séjour habituel des espèces; il ne
tient compte absolument que de la forme du bec et des pattes pour classer les Oiseaux. Il partage ces
Animaux en ordres de même que les Mammi fères. Dans la première édition de son Système de la Nature (3),
publiée en 1 735, il y en a sept. Le premier comprend tous les oiseaux de proie diurnes et nocturnes
(Accipitres) ; le second, les espèces ayant un bec convexe, tranchant sur sa partie inférieure et des
pieds courts (Picoe); le troisième, les espèces à doigts palmés (Anseres) ; le quatrième, les espèces à
bec presque cylindrique et à tarses longs (Scolopaces); le cinquième, les espèces à bec conique et à pattes
propres à la course (Gallinfn) -, le sixième, les espèces à bec conique et à pattes grêles propres à sauter
(Passeres)-, le septième, les espèces à bec long et en pointe aiguë (Macrorhynchoe). _
Linné fit bientôt disparaître ce dernier, dont les représentants prirent place dans son quatrième ordre
(Gralloe) ; du reste, jusqu’à la douzième et dernière édition de son Systema Naturoe, il n’apporta pas
d’autre changement à sa classification, qui a été seulement un peu modifiée par Cuvier. Ainsi Linné
réunissait les Pies-Grièches ( Lanius ) aux Oiseaux de proie, elles furent reportées parmi les Passereaux;
son second ordre (Picoe) comprenait les Perroquets, Toucans, Calaos, Corbeaux, Paradis,
Coucous, Pics, Alcyons, Grimpereaux, Trochiles; les uns, ceux qui ont deux doigts en arrière, formèrent
pour Cuvier les Grimpeurs, les autres prirent place parmi les Passereaux ; son troisième ordre
( Anseres) fut adopté dans les mêmes limites sous le nom de Palmipèdes; son quatrième ( Gralloe) est
de même celui qui plus lard eut la dénomination d’Échassiers; son] cinquième (Gallinoe) devint pour
Cuvier les Gallinacés; son sixième, les Passereaux (Passeres), reçut les types détachés du premier et
du second ordre. Ainsi, à peu près jusqu’à notre époque, la classification du naturaliste suédois a été
généralement acceptée avec les modifications qui viennent d’être indiquées (4).'
(1) Ornithologioe libri très. — Londini, 1676. Ouvrage posthume publié par Rai.
(2) Synopsis methodica Avium et Piscium. — Londini (1713).
(3) Systema naturoe, in-fol. Lugduni-Batavorum (1735).
(4) Systema naturoe. — Editio duodecima, t. I. Holmiæ (1766).