
T
g ro ssir sa cu eille tte d ’une quan tité de « petits rosés »,
comme il les appelle, q u ’il e st étonné de tro u v e r en g ran d e
quantité dans une pièce de luzerue. Il les considère d ’a illeu rs
comme des champignons roses ordinaires,
Notre ch erch eu r de cryptogames a déjà recueilli m ain tes
e t maintes fois des champignons de to utes so rte s au cours
de ses nombreuses p é rig rin atio n s. Il passe aux yeux de ses
voisins pour un fin connaisseur et il se c ro it sû r de ses
connaissances mycologiques ; aussi est-oe avec une tr a n quillité
p a rfa ite que, l’heu re du d é jeû n er venue, v e rs midi,
il se rég ale d’une p a rtie de sa récolte en ch oisissant avec
soin la majeure p a rtie de ses « petits rosés », qui lui
p a ra iss en t de moins bonne conservation que les mousserons,
s’en tenant absolument à cette alimentation..
T o u t va bien d’abord ; mais voici que vers 7 heures du
so ir, n o tre homme e st p ris d’un malaise soudain. Ce sont
d abord des ve rtig es, des nausées, des coliques avec p â leu r
de la face et refroidissement g én é ra l; p u is b ien tô t des
vomissements et de la d iarrhée. Les vomissements d’abord
a lim en taire s ram èn en t quelques-uns des champignons
ing éré s, puis deviennent fran ch emen t bilieux. D’heu re en
h eu re, l’é ta t g én éra l, loin de s’amé liore r, d ev ien t plus
in q u ié tan t, on me fa it ap p eler en to u te h â te ; à mon
a rriv é e, je constate qu’aux symptômes cholériformes sont
venus se jo in d re des tro u b le s du côté de la re sp ira tio n et du
coeur. L e malade éprouve une angoisse extrême, le pouls
est rapide, à peine perceptible. L es u rin es so n t ra re s , rouges,
et contiennent une quan tité notable d’albumine.
En pré sen c e de ces symptômes, je fais a dm in istrer un
lavement p u rg a tif et sans ch e rch e r à v id e r l’estomac avec
la sonde, les efforts de vomissements p a ra is s a n t av o ir
a tte in t en grande p a rtie ce b u t et le temps écoulé depuis le
dé jeu n er p e rm e tta n t de pen se r que le corps du délit e s t déjà
dans l’inte stin , nous ordonnons des boissons alcooliques, du
café bien fort, du sirop d’éth e r, e t nous faisons au malade,
qu ’on a en to u ré de briques chaudes, une injection h y p o d e rmique
de 0 gr. 50 de caféine dans le b u t de re lev e r le coeur
e t de favoriser a u ta n t que possible la diurèse. Malgré cela
l’é ta t de mon malade re ste in q u ié tan t, e t accompagné de
mon p ère, le D®Legendre, je me ren d s dans la soirée p lusieurs
fois au domicile ,de l’intoxiqué, sans que nous puissions
c o n sta te r un mieux sensible. Nous ordonnons de co n tin u e r
le tra item en t in stitu é et nous recommandons à son e n to u rag e ,
déjà très alarmé, de réchauffer le malade p a r l’application
continue de flanelles et briques chaudes. L e lendemain
matin le malade e s t toujours très faible, mais son é ta t est
plus ra s su ra n t. La d iarrh é e e t les vomissements on t cessé,
l ’oppression e s t moindre et le pouls meilleur. C ep en d an t il
n ’y a p a s eu d’émission d’u rin e dans la n u it. On conseille
le la it, qui e st très b ien su p p o rté ; bref, .le soir venu, n o tre
homme e st hors de danger. Il a u rin é assez abondamment et
les u rines sont normales.
Nous m ettons de côté ce qui re ste des champignons et
nous envoyons d’une p a rt les « p e tits rosés », et d’a u tre
p a rt le r e s ta n t de la cu eille tte non u tilisé e à M. le D® L abesse,
que nous savons s’occuper p a rticu liè rem en t de mycologie,
en le p ria n t de se c h a rg e r d’en faire l’examen botanique.
L ’examen de M. le D® L ab e sse lui a permis en effet de
re co n n a ître dans ces « p e tits rosés » le Stropharia coronilla,
que l’on p e u t confondre fa cilement avec le champignon
ro se ordinaire. C’e st une espèce su r laquelle les mycologues
so n t assez pai'tagés au p oint de vue de la comestibilité.
Alors que certain s d ’e n tre eux n ’h é s ite n t pas à le c la sser
comme vénéneux, d ’au tre s et non des moins d istin g u é s,
d ise n t l’avoir souvent mangé; mais ces de rn ie rs n ’ont pro b
ablem ent pas fa it usag e d’un p la t uniq u em en t composé
de c e tte espèce. Ils l’on t toujours ab sorbé jo in t à une plus
g ran d e q u an tité d ’espèces rép u té es comestibles ou n ’en ont
fa it qu’une consommation modérée da,ns une sauce ou dans
un p la t dont le morceau de ré sistan c e n ’é ta it c e rte s pas
co n stitu é p a r les cryp to g ame s en question.
« En conséquence, ajoute le D® L abesse, je n ’h é site pas à
considérer le Stropharia coronilla comme a u te u r de l’intoxication
co n statée . J ’a joute que, p a r une p ro p re expérience,
je me rappelle trè s bien, alo rs que j ’é ta is encore su r les
bancs de l’école, avoir ré co lté en me p rom en an t avec mon
pè re, g ran d am a teu r de cryptogames, des Stropharia coronilla
en assez gran d nombre, dans une p ra irie humide où le