
5 4 V o y a g e e n A n g l e t e r r e
que dans ce moment ; car j’avoue qu’il
n’eût pas dépendu de moi, de ne pas éprouver
un sentiment pénible , en voyant un
amant qui a fait de sang-froid une démonstration
anatomique sur l’objet de ses plus
tendres affections , sur une charmante
personne qu’il a perdue , et dont l’image
défigurée ne peut que lui renouveller des
souvenirs déchirans.
Je conçois que ce seroit une consolation
douce, une sorte d’égard et de respect
religieux qui s’étendrojt au-delà de
la v ie , si l ’on étoit, comme dans l ’ancienne
Egypte, dans l ’usage de conserver les restes
de ses parens , de ses amis et des personnes
qui nous ont été les plus chèresj mais
faire de sa main un travail aussi repoussant
que les préparations qu’exigent, dans
ces cruelles circonstances, la conservation
des corps ! j ’avoue que l ’on seroit presque
tenté d’agir comme les Egyptiens, qui
poursuivoient à coups de pierres ceux mêmes
qui , par état, étoient chargés de ces
tristes opérations.
Mais le savant Sheldon ne mérite pas
un traitement si d u r , car il est bon et
compatissant, et c’est certainement moi
qui me trompe, et qui ait tort de regarder
cette sorte de courage de sa part
comme un acte de cynisme -, puisque des
personnes très-instruites , qui connoissent
ce tra it, m’ont dit à Londres que la chose
tenoit à une grande force d’esprit, nullement
exclusive de la sensibilité. Mais quittons
ces objets lugubres, je suis attendu
à dîner avec des membres de la société
royale , partons.
Dîner au club académique.
Q u a r a n t e membres de la société royale
des sciences sont dans l ’usage de se réunir,
depuis plus de vingt-cinq ans, dans
une taverne de Londres, pour y dîner fraternellement
; chaque membre agrégé à ce
club particulier a le droit d’y amener deux
convives qu’il choisit parmi des étrangers
ou parmi des amis particuliers de la société
royale -, le président peut en amener
un plus grand nombre, et jeter les yeux
sur qui bon lui semble.
On se mit à table à cinq heures ; M.
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