
36a V o y a g e e n A n g l e t e r r e
un vieux meûnier, qui, réveillé par nos
c r is , accouroit en chemise et tête nue à
notre secours ; mais q u i, voyant des voitures
, des chevaux , et entendant des
hommes qui ne parloient pas sa langue,
a lla , sans mot dire , faire lever ses voisins.
Ces montagnards officieux vinrent
avec empressement tirer nos personnes,
nos chevaux et nos voitures, de l’espèce
d’abîme dans lequel nous étions venus
nous précipiter : ils ne pouvoient pas concevoir
comment nos voitures avoient pu
descendre dans un pareil lieu sans se briser
en éclats ; il fallut toute l ’adresse et
la force de ces hommes vigoureux pour
les retirer de là , en formant une espece
de chemin à coups de pioche , et en enlevant
, pour ainsi d ire , les voitures sur
leurs épaules.
Ils nous accompagnèrent jusqu’au village
d’Oban, qui n’étoit éloigné que de
cinq cents toises, et nous menèrent à la
porte de la seule hôtellerie du lieu ; ils
firent lever le maître, qui fut bien étonné
de voir arriver chez lui trois voitures et
dix personnes, à une heure et demie du
matin , dans un état à faire pitié. Nous témoignâmes
notre reconnoissance aux bons
montagnards , qui nous avoient assisté
d’nne manière si franche et si hospitalière
, et nous fîmes allumer de grands
feux pour nous ressuyer ; nous prîmes
beaucoup de th é, et quelques verres de
rhum pour nous réchauffer ; et nous nous
mîmes au lit à quatre heures du matin ,
pour y rester jusqu’à dix : le repos et le
sommeil firent le reste ; et à part quelques *
légères contusions, ainsi qu’un <peu de
fatigue, tout fut oublié et reparé en nous
levant.
Cette aventure, en apparence romanesque
, est telle néanmoins que je la rapporte
dans toutes ses circonstances ; je n’en
aurois pas fait mention, si deux motifs ne
m’a voient engagé à la raconter : le premier
, afin d’en faire hommage à mes chers
compagnons de voyage, qui ont partag
é , en dignes naturalistes, les fatigues et
les dangers de cette nuit, et ont ri plus
d’une fois de cet événement, qui n’eût
point de suites fâcheuses ; le second, pour
être utile à ceux que le goût de l ’histoire