294- H i s t o i r e N a t u r e l l e
peut que s’épuifer fans les fàtisfaire ; & dans (’accouplement
l’ardeur cil inégale, plus foible dans le mâle qui
jouit trop fouvent, trop forte dans la femelle qui ne
jouit qu’un inftant : dès-lors toutes les productions
doivent tendre aux qualités féminines; l’ardeur de la
mère étant au moment de la conception plus forte que
celle du père, il naîtra plus de femelles que de mâles ;
& les mâles mêmes tiendront beaucoup plus de la mère
que du père ; c ’ett fa ns doute par cette caufe qu’il naît
plus de filles que de garçons dans les pays où les hommes
ont un grand nombre de femmes, au lieu que dans
tous ceux où il n’eft pas permis d’en avoir plus d’une,
le mâle conferve & réalife fa fupériorité, en produifant
en effet plus de mâles que de femelles; il eft vrai que
dans les animaux donieftiques, on choifit ordinairement
parmi les plus beaux ceux que l’on fouftrait à la caftra-
tion , & qu’on deftine à devenir les pères d’une fi nom-
breufe génération ; les premières productions de ce mâle
choifi, feront, fi l’on veut, fortes & vigoureufes : mais
à force de tirer des copies de ce feul & même moule,
l’empreinte fe déforme , 'ou du moins ne rend pas
fa Nature dans toute fa perfection ;, la race doit par
conféquent s’affoiblir,- fe-rapetifler, dégénérer; & c ’elt
peut-être par cette raifon qu’il fe trouve plus de monftres
dans les animaux domeftiques que dans les animaux
fàuvages, où le nombre des mâles qui concourent à
la génération eft auffi grand que Celui des femelles:
d’ailleurs, lorfqu’il n’y a qu’un mâle pour un, grand
du B u f f l e , duBoNAsus , ire. 29$
nombre de femelles , elles n’ont pas la liberté de con-
fulter leur goût; la gaieté, les plaifirs libres, les douces
émotions leur font enlevées ; il ne refte rien de piquant
dans leurs amours , elles foufïfent de leurs feux, elles
languiffent en attendant les froides approches d’un mâle
qu’elles n’ont pas choifi, qui fouvent ne leur convient
pas, & qui toûjours les flatte moins qu’un autre qui fe
ferait fait préférer; de ces triftes amours, de ces ac-
couplemens fans goût, doivent naître des productions
auffi triftes, des êtres infipides qui n’aur&nt jamais ni
le courage, ni la fierté, ni la force que la Nature n’a
pû propager dans chaque efpèce, qu’en laiflànt à tous
les individus leurs facultés toutes entières, & fur - tout
la liberté du choix & même Je hafard des rencontres.
On fait par l’exemple des chevaux, que les races croifées
font toûjours les plus belles,, on ne devrait donc pas
borner dans notre bétail les femelles à un feul mâle de
leur pays, qui lui-même reffembie déjà beaucoup à fa
mère, & qui par oonféquent loin de relever l’efpèce,
ne peut que continuer à la dégrader. Les hommes ont
préféré dans cette pratique leur commodité aux autres
avantages ; nous n’avons pas cherché à maintenir, à
embellir la Nature , niais à nous la foû mettre & en jouir
plus defpotiquement; les mâles repréfentent la gloire
de l’efpèce ; ils font plus courageux, plus fiers, toûjours
moins fournis ; un grand nombre de mâles dans nos
troupeaux les rendrait moins dociles, plus difficiles à
conduire, à garder : il a fallu même dans ces efciaves