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 de ceux  qui  leur  font  la guerre ;  car au  lieu de conftruire > 
 marchoit  devant  &   le  tirait  avec  une  corde  dans  le  chemin  qu’on  lui  
 vouloit  faire  faire,  pendant qu'un quatrième  le  fàifoit  avancer à grands  
 coups  de  tête  qu’il  lui  donnoit  par  derrière  jufqù’à  une  efpèce  de  
 reinife,  où on  l’attacha  à  un  gros pilier fait exprès,  qui  tourne  comme  
 un  cabeftan  de  navire.  On  le  laifîà  là  jufqu’au  lendemain,  pour  lui  
 laitier  palier  fi  colère ;  mais  tandis  qu’il  le  tourmentoit  autour  de  
 cette  colonne, un  Bramine,  c’eft-à-dire,  de  ces  prêtres  Indiens  (qui  
 font  à  Siam  en  allez  grand  nombre )  habille’  de  blanc,  s’approcha  
 monté  fur  un  éléphant,  &   tournant  doucement  autour  de  celui  qui  
 étoit  attaché,  l ’arrofi  d’une  certaine  eau  conficrée  à  leur  manière,  
 qu’il  portoit  dans  un  vafè  d’o r :  on  croit  que  cette  cérémonie  fait  
 perdre  à  l’éléphant  fa  férocité  naturelle  &   le  rend  propre  à  fèrvir  le  
 R o i.  Dès  le  lendemain  il  commença  à  aller  avec  les  autres,  &   au  
 bout  de  quinze  jours  il  eft  entièrement  apprivoifé.  Premier  voyage  du  
 P . Tachard, page  2 y  S  &  Jùiv. 
 On n’eut  pas  pluflôt  defcendu  de  cheval  &  monté  fur  des éiéphans  
 qu’on  avoit  préparés,  que  le  R o i  parut,  fùivi  d’un  grand  nombre  de  
 Mandarins  montés  fur  des  éiéphans  de  guerre.  O n  fùivit  &   on  s’enfonça  
 dans  les  bois  environ  une  lieue,  jufqu’à  l’enclos  où  étoient  les  
 éiéphans  fiuvages.  C ’étoit  un  parc  quarré,  de  trois  ou  quatre  cents  
 pas  géométriques,  dont  les  côtés  étoient  fermés  par  de gros  pieux;  on  
 y   avoit  pourtant  laide  de  grandes  ouvertures  de  diltance  en  diftance.  
 I l  y   avoit  quatorze  éiéphans  de  toute  grandeur.  D ’abord  qu’on  fut  
 arrivé,  on  fit  une  enceinte  d'environ  cent  éiéphans  de  guerre,  qu’011  
 pofta autour du  parc  pour  empêcher les  éiéphans  fàuvages  de  franchir  
 les  paliflàdes;  nous  étions  derrière  cette  haie  &   tout  auprès  du  R oi.  
 O n   pouflà  dans  l’enceinte  du  parc  une  douzaine* d’éiéphans  privés  
 des  plus  forts,  fur  chacun  defquels  deux  hommes  étoient  montés,  
 avec  de grofïès cordes  à nceuds-coulans, dont  les  bouts  étoient attachés  
 aux  éiéphans  qu’ils  montoient.  Ils  couroient  d’abord  fur  l'éléphant  
 qu’ils  vouloient  prendre,  qui  fè  voyant  pourfùivi,  fê  préfëntoit  à  la  
 barrière pour la forcer &  pour s’enfuir; mais tout  étoit bloqué d’éléphans 
 comme  les Rois  de  Siam ,  des  murailles,  des terrafles, 
 d e   guerre,  par  lefquels  il  étoit  repoufle  dans  l’enceinte,  &   comme  il  
 fùyoit dans Cet  elpace,  les  chaffeurs  qui  étoient montés fur  les éiéphans  
 privés,  jetoient  leurs  noeuds  fi  à  propos  dans  les  endroits  où  ces  animaux  
 dévoient  mettre  leur  pied  ,  qu’ils  ne  manquoient  guère  de  les  
 prendre:  en  effet,  tout  fut  pris  dans  une  heure.  Enluite  on  attachoit  
 chaque  éléphant  fauvage,  &   l’on  meltoit  à  fes  côtés  deux  éiéphans  
 privés,  avec  lefquels  on  devoit les  laiffer  pendant  quinze  jours,  pour  
 être apprivoifes  par  leur moyen.  Idem ,  page  y 4  0. 
 Nous  eûmes  peu  de  jours  après  le  plaifir  de  la  chafle  aux  éiéphans;  
 les  Siamois font fort  adroits  à  cette  chaffe,  &  ils  ont  plufieurs manières  
 de  prendre  ces  animaux.  L a   plus  facile  de  toutes,  &   qui  n’efl  pas  la  
 moins  diverdfîànte,  fè  fait  par  le moyen  des  éiéphans  femelles.  Quand  
 il  y   en  a  une  en  chaleur,  on  la  mène  dans  les  bois  de  la  forêt  de  
 L o u v o ,  le'pafteur  qui  la  conduit  fe  met  fur  fbn  dos  &  s’entoure  
 de  feuilles,  pour  n’être  pas  aperçu  des  éiéphans  fàuvages;  les  cris  
 de  la  femelle  privée,  qu’elle  ne  manque  pas  de  faire  à  un  certain  
 lignai  du  pafteur,  attire  les  éiéphans  d'alentour  qui  l'entendent  &   qui  
 fe  mettent  auffi-tôt  à  fa  fuite.  L e   pafteur  ayant  pris  garde  à  ces  cris  
 mutuels,  reprend  le  chemin  d e   L o u vo ,  &   va  fe  rendre  à  pas  lents  
 avec  toute  fà  fuite,  qui  ne  le  quitte  point,  dans  une  enceinte  de  gros  
 pieux  faite  exprès,  à  un  quart  de  lieue  de  L ou vo ,  &  affez  près  de  
 la  forêt.  On  avoit  aulTï  ramaffé  une  affez  grande  troupe  d’éléphans,  
 parmi  lefquels  il n’y  en avoit qu’un  grand  &   affez  difficile à prendre  &  
 à dompter.  .  L e   pafteur  qui  conduifoit  la  femelle  fortit de  cet  enclos  
 par  un  paflàge  étroit  fait  en  allée,  de  la  longueur  d’un  éléphant;  aux  
 deux  bouts  il  y  avoit  deux  portes  à  coulifîes  qui  s’abattoient  &  fe  
 levoient  aifément.  Tous  les  autres  petits  éiéphans  fuivirent  les uns  après  
 les  autres  les  traces  de  la  femelle  à  diverfès  reprifês;  mais  un  paflàge  
 fi  étroit  étonna.le  grand  éléphant  fauvage,  qui  fê  retira  toujours;  on  
 fit  revenir  la  femelle  plufieurs  fois,  il  la  fùivoit  jufqu’à  la  porte,  mais  
 il  ne  voulut  jamais  paffer  outre,  comme  s’il  eût  eu  quelque  prefîèn-  
 timent  de  la  perte  de  fa  liberté  qu’il  y   alloit  faire.  Alors  plufieurs