les étoffes dont ils le vêtilfent & fe meublent ; avec
leurs chameaux, non feulement ils ne manquent de rien,
mais même ils ne craignent rien*; ils peuvent mettre
en un feul jour cinquante lieues de défert entre eu» &
leurs ennemis : toutes les armées du monde périraient
à la fuite d’une troupe d’Arabes; auffi ne font-ils foûmis
qu’autant qu’il leur plaît. Qu’on fe figure un pays fans
verdure & fans eau, un foleil brûlant, un ciel toujours
fec, des plaines làblonneufes, des montagnes encore
plus arides, fur lefquelles l’oeil s’étend & le regard fe
perd fans pouvoir s’arrêter fur aucun objet vivant; une
terre morte & , pour ainfi dire, écorchée par les vents,
laquelle ne préfente que des olfemens, des cailloux
jonchés, des rochers debout ou renverfés, un défert
entièrement découvert, où le voyageur n’a jamais refpiré
fous l’ombrage , où rien ne l’accompagne , rien ne
lui rappelle la Nature vivante : folitude abfolue, mille
fois plus affreule que celle des forêts ; car les arbres
font encore des êtres pour l’homme qui fe voit feul ;
plus ifolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vuides
piiis multa fiunt, maxime ver'o pamrns, quo à 1 principes obleffantur.
Protp. Alpin. Hiß. Ægypt. pars I.* pag» 2 2 ^
■ * tes chameaux font la richelTe des Arabes & toute leur force &
leur fureté; car ils emportent, au moyen de leurs chameaux, tous
leurs effets dans les déferts, où ils n’ont pas à craindre leurs ennemis
ni aucune invafton. L ’Afriqued’Ogilby, page 12 . -Quiporro carnebs
poffident Arabes ßeriliter vivant ac libéré, utpote cum quibus in defertis
agere pqjfint ; ad quoe, propter ariditàtem, nec reges, nec principes perycnirc
valent. Leon. Afric. Defrript, A fricce, yol. I I , pag. 749.
du Ch a m e a u i f du D r o m a d a i r e . 2 2 1
& fans bornes, il voit par-tout l’efpace comme fon
tombeau: la lumière du jour plus trille que l’ombre de
la nuit, ne renaît que pour éclairer là nudité, fon
impuilfance , & pour lui préfenter l ’ horreur de là
fituation, en reculant à fes yeux les barrières du vuide,
en étendant autour de lui l’abîme de l’immenfité qui le
fépare de la terre habitée: immenfité qu’il tCnteroit en
vain de parcourir; car la faim, la foif & la chaleur
brûlante prelfent tous les initans qui lui relient entre le
defefpoir & la mort.
Cependant l’Arabe, à l’aide du chameau, a lîi franchir
& même s’approprier ces lacunes de la Nature, elles
lui fervent d’alÿle, elles alfurent fon repos & le maintiennent
dans fon indépendance ; mais de quoi les
hommès lavent-ils ufer làns abus ! ce même Arabe
libre, indépendant, tranquille & même riche, au lieu de
refpeéter fes déferts comme les remparts de fa liberté,
lès fouille par le crime ; il les traverfe pour aller chez
des Nations voifines, enlever des elclaves & de l’or;
il s’en fert pour exercer fon brigandage, dont malheu-
reufement il jouit plus encore que de là liberté; car
fes entreprifes font prefque toujours heureufes : malgré
la défiance de fes voifins & la fupériorité de leurs forces,
il échappe à leur pourfuite & emporte impunément tout
ce qu’il leur a ravi. Un Arabe qui fe delline à ce métier
de pirate de terre, s’endurcit de bonne heure à la
fatigue des voyages; il s’elîàie à fe palier du fommeil,
à fouffrir la faim , la foif & la chaleur, en même temps
E e iij