que le rendement de la vigne serait toujours faible à cause
de 1 insuffisance de l’humidité même dans les régions .pluvieuses,
et l’on souffrit de la mévente parce que les vignobles
métropolitains s’étaient reconstitués. Aujourd’hui, il n’y
a pas un seul colon tunisien qui ne reconnaisse la nécessité
de joindre à la culture de la vigne celle des céréales
et, si possible, la création de prairies artificielles. Or, de
cette nécessité découle celle de rechercher les terres qui
se prêtent le,mieux à la culture des céréales et à celle des
légumineuses. lien est résulté un déplacement de la colonisation.
Tout d’abord elle s’était portée vers l’est de la
Régence, la région de Tunis et du cap Bon, celle de Zaghouan,
celle de l’Enfida, celle de Sousse où des surfaces énormes de
terre pouvaient êtreacquisesà vil prix. Aujourd’hui, son lieu
d’élection est le nord, dans la région située au-dessus de
la Medjerdah où les terres sont très bonnes et où les pluies
sont régulières. Les terres de cette région ont, par suite,
acquis une valeur très supérieure à celle qu’on leur reconnaissait
au début de l’occupation, et les propriétaires des
grands domaines ont jugé le moment venu de vendre les
parties de leurs terres qu’ils ne peuvent pas bu ne veulent
pas mettre eux-mêmes en valeur. Leur désir très légitime
de vendre ne fut pas, sans doute, étranger au mouvement
d’opinion qui se produisit, il y a une quinzaine d’années,
en faveur de la colonisation officielle et de la création des
petites ou moyennes propriétés.
La Tunisie est entrée dès lors dans la deuxième phase
de son évolution. En 1887, la superficie totale des propriétés
rurales possédées par les Français n’était que de 284.000 hectares
répartis entre 275 propriétaires. En 1897, cette superficie
n’était encore que de 467.000 hectares partagés entre
943 propriétaires. En 1907, la superficie était de 677.000
hectares divisés entre 2.246 propriétaires. En 1912, la
superficie atteignait 774.000 hectares partagés entre
2.719 propriétaires. On voit que de 1887 à 1912 le nombre
des propriétaires est devenu huit fois plus grand, tandis
que la superficie totale des propriétés n’a même pas triplé.
Il en résulte bien manifestement que l’évolution s’est faite
dans la direction de la substitution de la moyenne propriété
à la grande. Cette évolution est beaucoup favorisée en ce
moment par le fait qu’une partie notable des terres alloties
par l’administration en vue de la création de nouveaux
centres de colonisation est achetée aux grands propriétaires.
De la multiplication des colons est résulté naturellement
une transformation de l’aspect général du pays qui saute
aux yeux de tous ceux qui ont vu la Tunisie au début de
l’occupation et qui la revoient aujourd’hui. Il est à peine
utile d’ajouter que la construction des routes et des chemins
de fer a contribué puissamment à cette transformation, en
rendant possible la création de centres de colonisation sur
des points où elle eût été impossible lorsque les moyens de
communication n’existaient pas.
Le jeudi 4 juin 1914, à la fin du banquet offert par les
colons de Mateur au résident général, un des plus anciens
colons de la région, M. Pelletier, parlant de l’état de cette
région en 1895 et aujourd’hui, disait : 1 J ’ai assisté, et
travaillé, au merveilleux épanouissement de ' Mateur :
en 1895, ce n’était pas la ville florissante d’aujourd’hui,
toute frissonnante d’activité colonisatrice et de jeunes
énergies, ville aux hôtels confortables, aux larges avenues
plantées d’arbres, à la gare encombrée de marchandises,
centre et rendez-vous d’une admirable région, sillonnée de
routes où sonnent joyeusement les trompes d’automobiles,
peuplée de fermes où les colons dépensent dés trésors
d’endurance, de ténacité et de bonne humeur. Non! dans
ce temps-là, pas de ville : une bourgade arabe, presque
séparée du reste de la Tunisie, et endormie dans son isolement
séculaire... Dans le bled, pas dé routes : pour aller
à Tunis, 70 kilomètres de pistes, transformées l’été en ,
océans de poussière, l’hiver en marécages infranchissables.
Trois fermes, distantes les unes des autres de 8 à 10/kilomètres,
jalonnant une plaine fertile, mais nue et non
défrichéq, et d’une sauvage grandeur. Quatre ou cinq
Français à peine, dans ce coin perdu...
« Et maintenant que de changements ! La région est