que celui-ci servait à son ministre depuis un certain
nombre d’années. Plus tard, tombé en disgrâce et retiré à
Constantinople, le général Khérédine voulut se débarrasser
d un domaine qu’il craignait sans doute de se voir
enlever un jour par le successeur de celui qui le lui avait
donné. Il proposa d’abord à quelques-uns de ses compatriotes
de le leur vendre; mais n’ayant obtenu que des
refus, il s’adressait, le 15 avril 1880, à la « Société Marseillaise
de Crédit Industriel et Commercial et de Dépôts »
société fondée avec un capital social de soixante millions
de francs. Il s’engageait à vendre en bloc.à la Société ou
à tel syndicat qu’elle lui présenterait, tous les biens, qu’il
avait en Tunisie et dont le plus important était le domaine
de 1 Enfida.
Quoique le prix demandé par le vendeur (quatre millions
de francs), fût avantageux pour la Société marseillaise,
celle-ci avait plus d’un motif d’hésiter à accepter les
propositions qui lui étaient faites. En premier lieu, on
avait affaire à un pays encore peu connu, à des terres
en majeure partie incultes et presque dépeuplées;, en
second lieu, il était permis de se demander si le gouvernement
beylical respecterait les droits des acquéreurs.
Seules, les autorités françaises pouvaient, à cet égard, calmer
les inquiétudes de la Société Marseillaise; or, à
1 époque dont nous parlons, des prétentions rivales s’agitaient
en Tunisie, et il suffisait d’un instant de faiblesse de
la part de notre gouvernement pour que ce pays nous
échappai, soit qu’il restât dans la situation d’indépendance
ou il se trouvait, soit qu’il tombât entre les mains d’une
autre nation. Notre influence était, il est vrai, puissante
mais elle était vivement combattue par les représentants
des autres nations, en particulier par ceux de l’Angleterre
et de l’Italie et le Bey Es-Sadock était dominé paries
partis hostiles à la France. L’acquisition par des Français
d une propriété aussi étendue que. celle de l’Enfida ne pouvant
être envisagée par nos rivaux et par les Tunisiens
ennemis de notre autorité que comme une sorte de
mainmise de nos nationaux sur une partie de la Tunisie,
on ne manquerait pas d’effrayer le Bey et de lui représenter
la France comme convoitant ses Etats, afin de
j l’amener à déposséder les nouveaux propriétaires.
Lçs acquéreurs durent mener l’affaire aussi secrètement
que possible; ils étaient d’ailleurs puissamment encouragés
par notre représentant et même par le gouvernement
de la République, où figuraient des hommes résolus à ne
pas laisser tomber en des mains étrangères un pays tellement
fondu avec l’Algérie que l’avenir de celle-ci aurait
été compromis si la Tunisie était devenue une colonie
étrangère. Le 29 juillet 1880, la Société Marseillaise informait
Kherédine de son acceptation et l’invitait à faire
dresser les actes de vente conformément à la loi tunisienne.
A peine la conclusion de ce contrat était-elle connue
que des intrigues de toutes sortes se nouaient autour du
Bey pour empêcher la réalisation de la vente et que des
démarches étaient faites auprès de Khérédine pour le
pousser à violer ses engagements. Une Société italienne
lui offrait de gros avantages pour se substituer à la Société
Marseillaise, tandis qu’un bénéfice considérable était propose
a 1 administrateur de cette dernière Société pour le
décider à revendre à des étrangers la propriété qu’il venait
d’acquérir. On renouvelait auprès de lui l’opération qui
avait si bien réussi auprès deM. Duplessis pour la concession
des alfas.
Les acquéreurs ayant repoussé les offres qui leur étaient
faites, il fallait chercher un moyen de les mettre dans
1 impossibilité d’entrer en jouissance de leur propriété. On
crut le trouver dans une disposition de la loi musulmane
connue sous le nom de Cheffâa, dont il ne sera pas hors
de propos de parler ici, car elle constitue l’un des pièges
les plus dangereux parmi ceux qui entourent le droit de
transmission de la propriété en Tunisie.
Le droit de Cheffâa, que nous pouvons désigner d’une
façon plus compréhensible et surtout plus française sous
le nom de « droit de préemption », se résume en ceci :
lorsqu’un propriétaire vend sa terre, l’un quelconque des
propriétaires voisins peut invoquer et obtenir lé droit de