Je suis heureux de voir dans ces faits la justification des
observations que j’avais présentées dans la première édition
de ce livre. Après avoir reproduit ces observations,
M. Loth ajoute (p\ 116) : « Les calculs précédents démontrent
que M. de Lanessan ne s’était pas trompé. Ce
qu’il écrivait en 1887 est aujourd’hui vérifié. Voir notamment
plus loin, dans le journal d’un colon de l’Enfida, ce
que dit M. Emile Goeytaux de la disparition presque totale
des khammès à El-Kley ».
M. Coeytaux dit, en effet (p. 150), au sujet de la main-
d’oeuvre et des khammès de son domaine d’El-Kley :
« Comme maîn-d’oeuvre ce sont les indigènes que j’ai toujours
employés, particulièrement les Mehedbi, domiciliés
dans la région. Je suis arrivé à faire tracer une ligne droite
à la charrue par mes laboureurs et sans aucun jalon; à
régler une Bajac double aussi bien que pourrait le faire
un Européen ; à l’époque des moissons, ce sont eus également
qui me conduisent mes moissonneuses-lieuses. J’ai
comme engraisseurs deux Arabes qui se relèvent de deux
heures en deux heures et qui font le graissage de cette
machine. La presse à fourrage est également équipée et
servie par des indigènes. Les khammès Mehedbi n’existent
presque plus à El-Khley. Plusieurs de ces anciens prolétaires
possèdent aujourd’hui des troupeaux de moutons, des
vaches, des boeufs de labour, des animaux de trait ».
En même temps qu’elle s’efforçait de fixer les indigènes
au sol, la Société franco-africaine tenta d’attirer des Européens.
Mais il n’y avait alors dans la Régence qu’un petit
nombre de gros colons fixés dans les environs de Tunis
d’où il était difficile de s’éloigner car il n’y avait pas de
routes. Quant aux agriculteurs français, ils ne pensaient
pas à la Tunisie et il faut ajouter que le protectorat ne
faisait rien pour les y attirer. Il craignait de renouveler,
au détriment de la Tunisie, les expériences de colonisation
officielle faites en Algérie.
Plus audacieuse que l’administration, la Société de l’En-
fida fit d’abord un essai de colonisation avec une centaine
de Maltais, hommes, femmes et enfants, qui furent logés
dans des baraques à El-Khley. On donna à chaque famille,
en toute propriété, une vache, deux boeufs, vingt-cinq
brebis, un lot de terre cultivable de 50 hectares et des
avances en argent, à raison de trois francs par jour et par
famille. Dans chaque lot, un puits avait été creusé en vue-
de la culture maraîchère. L’argent fut mangé, le travail ne
fut fait que très incomplètement et, au bout de deux ans,
le village ne contenait plus pérsonne. La Société avait
dépensé 40.000 francs en pure perte.
One deuxième expérience fut faite avec des habitants de
l’île de Pantellaria, qui sont très misérables. Elle eut heu
à Reyville. Il fut alloué à chaque famille des terres payables
en dix ans à raison de 150 francs l’hectare. L’expérience
fut contrariée par l’inclémence des premières années et la
majeure partie des colons disparut. Trois ou quatre familles
seulement « plus tenaces et disposant peut-être aussi de
ressources pécuniaires un peu plus grandes » s’obstinèrent
et finirent par réussir, à partir de 1889, grâce à quelques
bonnes années. « Les maisons des anciens colons reçurent
de nouveaux habitants, le village devint prospère; depuis
il n’a pas cessé de l’être. Dix ans plus tard la terre valait
350 francs l’hectare. On ne peut en trouver aujourd’hui à
moins de 500 francs. Le succès de Reyville détermina, en
1900, la création de Bou-Ficha, où fut organise un centre
de colonisation comptant quarante fermes. Aux Pantella-
riens vinrent se joindre quelques Siciliens. Tous ces nouveaux
immigrants acquirent des lots urbains payables
1 franc le mètre en dix ans sans intérêt, et des lots de culture
d’une superficie de 10 hectares à 300 ou 350 francs,
payables un quart au comptant, le reste en dix ans avec
6 p. 100 d’intérêt. » Ces colons plantèrent d’abord exclusivement
de la vigne et leur vignoble atteignit une contenance
de 500 hectares. Une crise vinicoie ayant troublé
leurs efforts, ils renoncèrent à faire du vin que, d’ailleurs,
ils réussissaient mal, produisirent du raisin de table dont
ils trouvaient un écoulement facile à Tunis et à Sousse et
s’adonnèrent à des cultures variées; ils créèrent même
des vergers à fruits et des olivettes. « Sur une longueur de