d’or qu’ils peuvent se procurer. Les plus prodigues s’en
servent pour acheter des bijoux qu’ils offrent à leurs
femmes. Qu’un besoin d’argent se fasse sentir, on va
porter les bijoux chez un usurier en garantie d’un emprunt
pour lequel on paye un intérêt exorbitant. Si,
à l’échéance convenue, on ne peut pas rembourser la
somme prêtée, on s’engage, moyennant une grosse
prime, pour une période nouvelle et, ainsi de suite,
jusqu’à ce que le bijou devienne la propriété du prêteur,
ce qui d’ordinaire n’exige pas beaucoup de temps. Dans
les opérations de ce genre, il n’est pas rare, en effet,
que l’intérêt atteigne au delà de 50 et jusqu’à 100 p. 100
ou même davantage.
Une première amélioration dans les conditions de crédit
auxquelles se trouvait soumise la Régence, fut déterminée
par la création, le 1er avril 1879, de la « Société franco-
tunisienne ». Transformée, le 1er mai 1880, en « Société
des comptoirs maritimes » puis, le 1er octobre, en « Agence
de la banque transatlantique », enfin, le 1er octobre 1884,
en « Banque de Tunisie », cette société, fondée'au capital
de 8.000.000 de francs, détermina rapidement une baisse
notablq du taux de l’intérêt de l’argent. Pendant l’exercice
1885-86, elle abaissa ce taux à 7 p. 100. Le taux des prêts
hypothécaires descendit de son côté à 9 et 8 p. 100. Un
abaissement analogue se produisit dans l’intérêt des
emprunts d’État. Avant l’établissement définitif du Protectorat
et la liquidation de la dette tunisienne, la commission
financière empruntait tous les ans un ou deux millions de
piastres pour l’aire face à ses engagements. Ces emprunts
se faisaient dans le silence du cabinet, sans aucune concurrence,
et le taux moyen de l’intérêt payé par le gouvernement
beylical s’élevait à 12 et 15 p. 100. En 1879, la
Société franco-tunisienne, à peine établie depuis six mois
dans la Régence, et qui n’avait encore qu’un capital de
500.000 francs versé,, protesta contre cette manière d’opérer,
et força le gouvernement tunisien à faire ses emprunts
aux enchères. En août 1879, elle se faisait adjuger 1 un de
ces emprunts au taux de 8 p. 100. C’était une économie de
4 à 7 p. 100 que faisait le gouvernement tunisien sur les
intérêts à payer. Or, cet abaissement du taux des intérêts
payés par l’État s’est, depuis cette époque, toujours maintenu.
' L’amélioration considérable introduite dans les conditions
du crédit par la « Banque de Tunisie » fit rapidement
naître dans l’esprit des colons le désir de voir fonder dans
la Régence un établissement de plus grande importance,
qui serait autorisé à émettre des billets. En 1886, ils
adressèrent au Résident général, M. Cambon, une pétition
qui offre encore un grand intérêt au point de vue de
l’histoire de l’évolution de notre protectorat. En voici le
texte : « Les soussignés, représentant, dans les diverses
branches de l'agriculture, de l’industrie et du commerce,
les principaux intérêts de la Tunisie, ont l’honneur de
vous exposer : 1° que l’intérêt de l’argent, bien qu’ayant
été sensiblement abaissé par les institutions françaises de
crédit, est encore trop élevé dàns la Régence pour permettre
aux entreprises vraiment utiles de s’y établir ;
2° que la Tunisie, en agissant avec ses ressources réelles
seulement, est placée dans un état d’infériorité nuisible à
sa prospérité vis-à-vis des nations ou des places avec
lesquelles elle est en relations d’affaires, tous les États qui
l’avoisinent possédant en effet des banques d’émission.
Une banque d’émission a pour effet de remettre en circulation
une partie du numéraire déjà employé et de multiplier
ainsi la force première. Son capital, au lieu de s’employer
successivement, se multiplie instantanément suivant
les besoins de la place et peut ainsi diminuer de
beaucoup le prix des services. Beaucoup d’autres considérations
pourraient être mises en avant, mais les soussignés
sont persuadés, Monsieur le Ministre, que votre
connaissance des choses suppléera au laconisme dans
lequel doit se renfermer une pétition. Les soussignés vous
prient instamment de soumettre à Son Altesse le Bey et
au gouvernement français, en l'appuyant de votre haute
autorité, le projet d’une banque beylicale d’émission, dont
l’établissement aura une énorme et bienfaisante influence