CHAPITRE IX
LE COMMERCE DANS SES RELATIONS
AVEC LE REGIME DOUANIER, LES IMPOTS ET LE CRÉDIT
§ I. — L e d é v e l o p p e m e n t du c o m m e r c e
DANS SES RELATIONS AVEC L’OCCUPATION FRANÇAISE
Au moment de l’occupation de la Tunisie par la France,
le commerce de la Régence était à peu près nul et il n’y
avait pas lieu de s’en étonner car ni l’agriculture, ni l’industrie
indigènes n’étaient suffisamment développées pour
produire au delà des besoins de la consommation locale
quoi que ce soit qui pût être exporté. L’indigène, d’autre
part, n’était pas assez riche pour acheter en quantités
notables ce que les étrangers auraient pu importer.
D’après les statistiques officielles, la valeur totale des
produits importés en Tunisie du 1er juillet 1875 au
30 juin 1876, s’élevait, en chiffres ronds, à 12 millions de
francs. Du 12 octobre 1884 au 12 octobre 1885, elle fut
de 26.400.000 francs. Quant aux exportations, du 1er juillet
1875 au 1er juin 1876, elles représentèrent une valeur
de 15 millions de francs. Du 12 octobre 1884 au 13 octobre
1885, elles s’élevaient à 18.600.000 francs.
L’année 1880-1881, pendant laquelle nous procédâmes
à l’occupation de la Régence, vit s’élever à la fois les
importations et les exportations. Du 1er juillet 1879 au
30 juin 1880, la valeur des importations avait été de
11.400.000 francs ; du 1er juillet 1880 au 30 juin 1881, elle
s’éleva à 15.600.000 francs et sa marche ascensionnelle
continuait pendant les années suivantes. Quant à la
valeur des exportations, elle avait été, en 1879-1880, de
10.840.000 francs, en 1880-1881, elle s’élevait subitement
à 21.600.000 francs. L ’année suivante, elle descendait à
10.800.000 francs, mais, en 1882-1883, elle remontait à
17.400.000 francs, et depuis ce jour, elle ne cessait de
s’accoître, pour atteindre, en 1884-85, le chiffre de
18.600.000 francs. ,
L’occupation française avait donné comme un coup de
fouet au commerce de la Régence. On doit probablement
l’attribuer à ce que les commerçants et les fournisseurs
d’armées arrivés en Tunisie avec nos troupes se jetèrent,
en quelque sorte, sur le stock de produits tunisiens exportables
qui restait des années précédentes et qu’ils purent
avoir à bas prix. L’année suivante, les produits étant
devenus plus rares et les prix s’étant, par conséquent,
élevés, le chiffre des exportations devait forcément s’abais-
ser. Au bout de deux ans, l’équilibre s’établit entre la production
et l’achat ; la première s’accroît en proportion des
demandes qui lui ont été faites pendant les deux années
précédentes et qui continuent à lui être adressées : par
conséquent le chiffre des exportations s’élève et il ne cesse
plus de s’élever parce que les mêmes causes continuent
d’agir.
Ce phénomène n’a rien de spécial à la Tunisie. Il se
produit dans tous les pays nouveaux où les puissances
européennes débarquent des troupes en grande quantité.
Celles-ci ont une foule de besoins qu’il importe de satisfaire
rapidement et sans compter. Aussi achètent-elles aux
indigènes tous les objets qu’ils peuvent leur fournir, et à
des prix bien supérieurs à leur valeur antérieure. Ces
achats sont une excitation puissante à la production, qui
ne tarde pas à augmenter. D’un autre côté, les trafiquants
apprennent à connaître des produits qui étaient restés jusqu’alors
le monopole de quelques personnes. La concurrence
qu’ils se font pour les acheter et lés expédier dans
la mère-patrie en fait augmenter la valeur et donne une
nouvelle excitation à la production. Quant aux importations,
elles ne peuvent pas manquer de s’accroître également.
La présence des troupes et celle des fournisseurs,