comme moyen de développer la colonisation française en
Tunisie des observations dont il me paraît utile de mettre
quelques-unes sous les yeux de ceux de nos compatriotes
qui liront ce livre. Il pose d'abord en principe que pour
réussir dans l'agriculture en Tunisie il faut, comme partout
d ailleurs, réaliser l’union d'un bon cultivateur laborieux,
sobre, intelligent et â'un capital suffisant. « Le vrai
paysan, dit-il (l’OEuvre française en Tunisie, p. 28), malgré
ses qualités de travail et d endurance ne peut pas s'établir en
Tunisie avec chances de succès s'il ne dispose pas du capital
nécessaire. Il ne peut pas y vivrecomme journalier à cause
du bon marché de la main-d’oeuvre indigène et italienne,
il ne peut donc s'y établir que comme maître-valet, métayer,
fermier ou petit propriétaire. Quelle qüe soit là
combinaison adoptée, il doit acheter le sol, construire une
maison et uhe écurie, disposer d’un cheptel, des instruments
de labour et posséder les avances pour vivre en
attendant la récolte. » Tout cela représente une somme
importante. M. Saurin donne des chiffrés « établis, dit-il,
à la suite d’une expérience personnelle de douze ans ».
Il envisage d'abord une ferme ,de 10 hectares dont 5 en
vignes. « Elle exige, dit-il, un capital de 12.000 francs,
ainsi employés : achat du terrain 1.500 francs ; construction
2.500 francs; cheptel, 1.000 francs; divers 1.000francs,
création du vignoble, 5 hectares, première mise de fonds,
6.000 francs. Elle rapporte brut, à partir de la cinquième
année, 5.000 francs. Celui qui établit cette ferme doit être
un cultivateur de profession, exécutant lui-même tous les
travaux des champs, vivant en grande partie du produit
de son sol et allant chercher autour de lui, dans les premières
années, un travail complémentaire, car ce petit
domaine ne saurait occuper tout son temps. » Il ajoute
qu’un colon peut vivre dans ces conditions « dans une
large aisance », mais encore faut-il qu'il possède un capital
initial d’une dizaine de mille francs ou que quelqu’un fasse
tous les premiers frais pour lui.
Il envisage un second cas, plus favorable, offrant une
situation plus enviable à la famille paysanne française qui
voudrait s’expatrier. « Une ferme de 50 hectares, dit-il,
dont 5 en vignes, exige une première mise de fonds de
32.000 francs et rapporte brut 10.000 francs. Le prix de
revient se décompose ainsi : achat du sol, 7.500 francs;
constructions, 5.000 francs; cheptel, 3.000 francs ; divers,
3.500 francs. La création du vignoble nécessite une première
dépense de 1.200 francs par hectare. Les revenus
se composent du revenu de la vigne, 600 hectolitres devin
vendus à 12 francs = 7.200 francs; et du produit de
40 hectares en céréales et en fourrages, qui donneront de
50 à 150 francs brut à l’hectare suivant les années et suivant
qu'on se trouvera dans la Tunisie n° 1 (vallées
secondaires situées au nord de la Medjerda où les pluies
sont régulières et abondantes) ou n° 2 (vallées de l’ouêd
Miliane, de la Medjerdah et du Cap Bon). Ainsi, règle générale*
dans une entreprise bien Conduite, avec qn capital
de 32.000 francs, on retirera brut 10,000 francs'. Il y a là
de quoi rémunérer a la fois le cultivateur qui exploitera
le sol et le capitaliste qui aura fourni les fonds indispensables
à l’oeuvre de colonisation. En admettant qu’on partage
le produit brut entre les deux éléments, suivant Un
contrat de métayage, il reste 5.000 francs pour le paysan
et 5.000 francs pour le capital. Ce sera là une excellente
affaire pour le paysan. Comme il n’y a pas de morte-saison
en Tunisie, un seul attelage peut très bien mettre en
céréales ou en fourrages une trentaine d’hectares et
labourer dix hectares de vigne. Le paysan trouve autour de
lui là main-d’oeuvre à bon marché (l’Arabe se paie 1 fr. 25
à 1 fr. 50 sans nourriture) ; il est d’ailleurs muni d’une
moissonneuse-lieuse. Dans ces conditions, même sans
enfants en âge de travailler, il dépensera à peine 500 à
600 francs de journées supplémentaires et il pourra toujours
mettre de côté 1.000 à 2.000 francs par an, s’il est économe
et laborieux. Que fera ce paysan de ses économies
dans un pays où le sol vaut de 150 à 200 francs l’hectare ?
Il aura vite acheté une propriété sur laquelle il s’établira
à son tour. L’affaire sera tout aussi bonne pour le capital,
puisqu’il retira du 12 ou 15 p. 100 du capital engagé.