duit celle-ci à rechercher quel pouvait être le chiffre des
importations allemandes ; ce chiffre ne serait gu'ere inférieur
à 4 millions ». La Chambre de commerce terminait
par cette observation très judicieuse : « Cet ensemble
de faits suffit pour montrer le peu d’exactitude des chiffres
cités plus haut ».
Dans la première édition de ce livre j’ajoutais : « Je ne
puis que m’associer à cette observation. Quel que soit le
soin avec lequel les statistiques sont faites, elles ne donnent
jamais, à mon avis, qu’une idée très imparfaite des
phénomènes économiques. En veut-on un autre exemple,
sans sortir du sujet qui nous occupe? En voici un ! Nous
avons dit plus haut que les statistiques réunissaient sous
la même rubrique, celle de « Commerce spécial :», les
produits simplement francisés et ceux qui sont fabriqués
en France. Eh bien ! les distinguât-elle, nous ne serions
pas beaucoup plus instruits sur leur origine véritable.
Tout le monde sait que beaucoup d’industriels ou de commerçants
français font fabriquer en Allemagne des produits
qu’ils vendent ensuite comme étant d’origine française.
De même des industriels allemands et anglais
achètent en France des objets auxquels ils donnent une
marque de fabrique anglaise ou allemande. Pour que les
statistiques fussent exactes, il faudrait qu’elles suivissent
ces produits dans leurs migrations, ce qui est, sinon impossible,
du moins très difficile. Mais si les statistiques,
malgré leur apparence de rigueur mathématique, sont
incapables de donner une idée très exacte des faits économiques,
elles en indiquent du moins les caractères principaux.
Cela suffit pour révéler à l’observateur attentif les
points sur lesquels doit porter plus particulièrement son
attention. »
Il n’était douteux pour personne, quelques années après
notre occupation de la Tunisie, que la presque totalité des
cotonnades européennes consommées' dans ce pays provenait
d’Angleterre. On savait qu’une partie importante des
soieries vendues dans les souks de Tunisie venaient de
Suisse et d’Allemagne ; que les meubles bariolés de rouge.
de bleu, de vert, et décorés de fleurs multicolores, si
recherchés par les indigènes, sortaient d’Italie, ainsi que ¡
les carreaux en faïence émaillée, les légumes secs, etc.
tandis que la France fournissait principalement les vins et
les liqueurs, les vêtements confectionnés, les chaussures,
les cuirs préparés, etc.
De cette simple notion il était aisé de faire déçouler les
considérations les plus utiles à notre commerce et à notre
industrie. Sachant, par exemple, d’une manière générale,
que l’Angleterre l’emportait en Tunisie pour ses cotonnades
sur toutes les autres nations industrielles de l’Europe,
nous devions rechercher les causes de cette supériorité et
nous efforcer de les combattre. Ces causes, tous ceux qui
voulaient observer les faits d’assez près les connaissaient :
C’était le bon marché et surtout l’adaptation dp la marchandise
aux goûts des acquéreurs. On insiste peut-être trop,
d’habitude, sur l’importance du bon marché ; sans doute'
il joue un grand rôle dans la préférence que les consommateurs
donnent a un produit ou à un autre, mais il est
moins important que la nature même de la marchandise.
Les habitants des pays imparfaitement civilisés ont une
fixité de goûts dont on se fait difficilement une idée quand
on n’a pas vécu parmi eux. Tout objet qui n’a pas les caractères
traditionnellement exigés Ou qui même ne porte pas
la marqué connue depuis longtemps est impitoyablement
’refusé. Connaître les préférences et les habitudes dont
nous parlons est la qualité la plus indispensable à un
industriel ou à un commerçant qui veut gagner de l’argent
dans les pays neufs. Cela s’applique aussi rigoureusement
que possible à la Tunisie. Si les cotonnades anglaises y
réussissent c’est que l’industriel anglais se conforme d’une
manière absolue dans leur fabrication à l’indication des
Tunisiens. Il donne à ses pièces la largeur, la longueur la
consistance exigées par l’indigène ; il les teint des couleurs
qui ont été de tout temps recherchées dans le pays, etc.
Bien loin de se mettre en frais d’imagination pour trouver
des formes et des couleurs nouvelles, il se borne à copier
servilement celles que l’on aimait dans le pays avant l’in