Plus on s’éloigne de là date de la fondation, plus le nombre
des héritiers se multipliant, lapart de chacun dans le produit
des terres se réduit, au point qu’il n’a pas beaucoup d’intérêt
à s’occuper de sa gestion pour gagner quelques centimes
déplus. » Si l’indifférence des héritiers n’est pas assez
grande pour que le habous soit abandonné, il est géré par
un indi vidu que les héritiers désignent .et que l’on qualifie de j
mokaddem. Nonchalant comme tous les Arabes, le mokad-
dem « trouve que la façon la plus commode d’administrer
la fondation, c’est de se contenter de faire payer un péage I
à tous les bergers qui veulent conduire des troupeaux sur .
la terre habous ». Les habous deviennent ainsi une res- j
source précieuse pour les pauvres gens qui y font paître
leurs troupeaux à peu de frais, mais ils n ont presque pas ;
de valeur pour les héritiers. Il arrive de temps à autre ;
que ceux-ci disparaissent et alors le habous, devenu sans
maître, est réclamé par l’administration des habous .qui le
fait gérer. S’il est au voisinage des villes, elle en tire de i
réels profits en le louant pour la culture ; s il est rural, il
ne sert qu’au pacage du -bétail et ne rapporte presque
rien.
Comme les habous ont été des propriétés privées et .que
celles-ci existaient jadis seulement dans le nord de la i
Régence, c’est dans la partie du pays la mieux adaptée alla
colonisation par son climat, ses pluies et la nature de son
sol que se trouvent les-habous privés et publics. Aussi, les
Européens de la Tunisie réclament-ils depuis fort long- j
temps la mainmise de l ’administration sur Ges biens en
vue de la colonisation. L’administration hésitait nécessairement
devant l’acte qu’on réclamait d’elle. Non seulement
elle redoutait de froisser les sentiments religieux.des
populations, mais encore elîe ne pouvait méconnaître le
préjudice quelle porterait aux pauvres gens en supprimant
une partie de leurs terres de parcours. Une autre raison
la retenait : c’est que les habous du nord servaient au
pacage - du bétail des tribus du sud. Celles-ci, .chaque
année, lorsque les herbes sont desséchées dans le sud et le
centre remontent avec leurs troupeaux vers le nord ou,.
grâce à la quasi-régularité des pluies, il existe encore
quelques herbages. Transformer les habous du nord en
propriétés européennes',, ne serait-ce pas troubler profondément
l'équilibre économique de la Tunisie, en condamnant
les populations du sud à ne plus pouvoir remonter
vers le nord lorsque la sécheresse empêche leurs troupeaux
de se nourrir dans le sud?
Le protectorat avait donc raison d’hésiter devant la
mesure que les Européens réclamaient de lui; mais ainsi
que le déclara M. Alapetite à la tribune de la Chambre, il
ne considérait pas cependant « la condition de tous les
habous comme intangible ». Le résident général ajoutait :
« Il faut trouver un moyen de leur faire rendre davantage,
mais il ne s’agit pas de trouver ce moyen nous-mêmes,
d’offiee, et de l’imposer par la force {très bien! très bien!).
De concert avec les représentants des indigènes, sans
violer leurs convictions, sans leur faire sentir que c’est la
main du conquérant qui pèse sur eux {très bien! très bien!),,
il faut trouver le' moyen de les amener à une collaboration
avec nous qui fasse fléchir un peu la rigidité de la tradition
musulmane, en respectant ce qu’elle a d’essentiel, le
souci qu’a eu le constituant d’assurer à sa descendance un
revenu perpétuel et inaliénable ».
La question est ainsi, avec l’approbation delà Chambre,
parfaitement posée; il sera d’autant plus facile de la
résoudre, que les indigènes eux-mêmes se montrent, à
notre exemple, plus portés qu’autrefois à mettre la terre eh
valeur et à se- constituer propriétaires. M. Alapetite cita
un fait d’où il appert assez nettement la possibilité d’intéresser
les indigènes eux-mêmes à la reconstitution des
propriétés privées au moyen des habous. Il s’agit d’un
habous public du cap Bon, situé auprès d’une petite ville
et cultivé par des habitants de cette dernière qui en
payaient la location très cher. Ne voulant pas priver les
indigènesde ces habous, le résident général prit lesmesures
suivantes : « il laissa aux indigènes toutes les terres qui
étaient près de la ville, où ils pouvaient se rendre ^chaque
jour et qüi leur étaient d’une exploitation commode » et.il