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IÔ8 L ' A R T ÉGYPTIEN.
PlîUon et Synésiiis confirnieaL ce que nous apprend l'élude des monumenls des
diverses époques : ces deux écrivains rapportent qu'il n'était pas permis aux artistes
égyptiens de tenter quelque chose de contraire aux prescriptions concernant ia
li'Tiire des dieux : il leur était défendu d'y introduire aucun changement ou d'inventer
de nouvelles poses: les conséquences d'une aussi inflexible immutabilité furent que l'art,
VA les règles (jni le sléréotypaient ne purent convenir qu'au peuple Égyptien, aux besoins
intimes duquel elle tlonnait, sans aucun doute, satisfaction; et que les antres peuples,
(juand ils vinrent chez lui se faire initier à des principes qui leur étaient inconnus,
furent contraints, en les adoptant, à des modifications artistiques qui répondissent à
leurs besoins physiques et intellectuels.
11 y eut encore une autre conséquence de cette vénération des Égyptiens pour le
slyle qu'ils avaient adopté: quand l'Egypte fnt tombée sous la domination des
Cires et des Romains; leur respect séculaire, leurs préjugés religieux pour leurs
images sacrées détourna de toute innovation dans le style national; aussi, sur les
nuirailles des temples, ne voit-on aucune figure sculptée ou peinte dans le style
grec ou romain; bien que les artistes égyptiens, de ces époques, comuissent les
oeuvres de leurs dominateurs répandues dans la vallée du Nil : ils ne cessèreni
donc jamais de suivre ce style national dans tous les édifices qu'ils érigèrent.
Cependant l'obligation, dans laquelle nous nous trouvons, d'affirmer que les
prêtres Égyptiens, en asservissant l'art à la religion, ont eurayé son essor, ne nous
entraîne pas jusqu'à ne pas voir que, tout fautif que fut le style conventionnel,
tant pour les formes que pour la couleur, il a pourtant ses attractions. La plupart
des artistes qui visitent les monuments de la vallée du Nil se réconcilient, vite,
avec ses défauts, et finissent presque toujours par admirer ce qui leur avait paru
d'abord si étrange. Nul n'a examiné, avec soin, la disposition des tombeaux sans
être frappé de la beauté et de l'harmonie des colorations, du goût déployé dans
les ornements, dans l'exécution artistique des animaux, enfin de l'effet magicjue
de toutes leurs décorations ; et quand de l'admiration de ces oeuvres (inspirées par
le culte pour graver dans l'àme des fils le respect pour les auteurs de leurs jours;
ou pourrait presque dire l'idolâtrie pour le souvcjiir de leur ])assage sur la terre),
on passe à la recherche des causes mystérieuses de ce que l'intelligence n'a i)as,
de prime-abord, compris, on se sent pénétré du besoin impéi-ieux de se les expliquer
à soi-même.
Alors ce ne sont plus les représentations figurées, |)res(iuc intelligibles, (jue la
curiosité pousse à contempler; ce sont surtout les oeuvres, qui paraissent avoir un
sens vraiment éuigmatique, qu'on veut, constamment, revoir; ce sont ces étranges
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créations, où tous les règnes de la nature semblent avoir été confondus à plaisir,
qu'on somme de nous dévoiler leurs secrets : et, aussitôt que l'esprit cesse de s'étonner
des types hiératiques, la nécessité des formes hybrides (comme faisant partie d'un tout
qui m^ i)0uvait les repousser sans se démentir à lui-même) s'impose à notre pensée.
De là, on arrive à regarder les artistes égyptiens comme des illuminés, auxquels .
il a fallu une énergie surhumaine pour pouvoir rendre, avec les ressources bornées de
la nature, tout ce que leur enjoignait de reproduire le matérialisme surnaturel, qui
l'ait le fond de l'exégèse du culte égyptien.
11 semble, en effet, que la mythologie égyptienne ait été fondée sur des spéculations
qui n'offrirent pas beaucoup de moyens pratitiues, surtout aux statuaires;
c'est pourquoi l'on dut toujours recourir à des créations énigmatiques, tourmentées,
où peu de corps pouvaient rester tels qu'ils avaient été créés ; ou plutôt, où peu
de corps eussent pu entrer dans leurs compositions, en restant sous leur apparence
naturelle : Alors il leur fallut des têtes humaines sur des troncs d'animaux, et des
têles d'animaux sur des corps humains; alors ils se virent forcés de décomposer
les êtres et de multiplier les monstres ; ce qui fit qu'on ne consulta plus la nature,
ni pour redresser les défauts du dessin, ni pour en adoucir la rudesse.
Ou dessinait donc, sans modèles réels, des formes fantastiques qui paraissent
appartenir à un univers différent du nôtre : Yoilà pourquoi Apulée et Âmmien
Marcellin, en parlant de certaines figures symboliques de l'ancienne Egypte, les ont
nommées des animaux d'un autre monde.
11 est clair, néanmoins, que cette manière de s'exprimer n'est qu'une métaphore,
quoique quelques commentateurs aient été assez dépourvus du sens commun
pour en conclure que les Égyptiens connaissaient l'Amérique : ils s'appuyaient sur
les termes employés par Apulée pour décrire celte robe de toile peinte, tout
entière couverte de représentations emblématiques, dont on l'affubla lorsqu'il fut
initié aux mystères d'isis.
Les Égyptiens chargeaienl même, quelquefois, de tant de symboles, la tôle de leurs
statues, qu'elles eu paraissent accablées; tellement semble pesant le fardeau qu'elles
semblent soutenir de leurs elTorls.
Uevons-nous, après ces déductions logiques, tenir compte de l'opinion de certains
auteurs qui prétendent que, si le caractère sombre des Égyptiens les entraînait, le
plus souvent, vers une mélancolie invincible, d'un autre côlé, leur imagination était
d'une vivacité telle, qu'abandonnés à eux-mêmes, dans leurs conceptions allégoriques,
celles-ci seraient devenues trop bizarres, et se seraient iiar trop multipliées, si la
déleiise de ne rien innover n'était pas venue à temps pour y mettre obstacle.
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