114 L'ART ÉGYPTIEN. API^UnU GÉNÉilAL DE 1/ÉTAT DES liKAUX-AKTS, 115
soiU les tieruiers i|ui ont vu ces magnificenccs, avant qu'elles eussent été ravagées
par Canibyse, Ills de Cyrus, le })lus furieux et le [)lus iusensé de tous les conquérants. »
Quel([ue empreint d'exagération que paraisse ce récit, il ne nous était jias permis
(le le i)asser sous silence, parce ([ue l'histoire com])lète de l'art à celte époque
s'impose à l'esprit comme un des sujets les plus curieux (^u'il nous soit donné de
méditer, et qu'on a pour devoir de se demander si le peu})le, qui taillait déjà le granit
ou Talbàtre avec un tel goût et une telle facilité, n'était habile qu'en architecture.
Les portraits des stalues les plus anciennement exécutées montreront aux yeux
les jiilus prévenus que le princi|)e du premier art égyptien était la nature même,
lidèlenient observée et déjà habilement rendue : les pro[iortions exactes, les principaux
muscles étudiés avec soin, la ligure sculptée avec hnesse et l'individualité du
portrait, saisie souvent avec bonheur, telles sont les louanges que nous pouvons
décerner sans hésitation aux artistes du temps, soit qu'ils se bornent à tailler la
pierre calcaire, soit qu'ils aient à mettre en usage les plus belles essences des bois
qui croissaient dans la vallée du Nil, soit enfui qu'ils aient à s'attaquer aux roches
les plus dures comme dans les statues du roi Chafré; ou bien encore à se rendre
maîtres du granit le plus rebelle, avec une puissance et une souplesse de ciseau
qu'on ne saurait trop admirer.
On croirait que l'Égyptien s'est obstiné à vaincre la nature, qui semblait devoir
l'engloutir entre les débordements du désert et du lleuve, dans un besoin instinctif
de protestation contre le néant; et qu'il a voulu le prouver par la grandeur ou
la solidité de ses oeuvres; cependant, s'il bâtit des édifices, s'il les construit longs,
larges, immenses (et parfois élevés), il ne les jtorte pas vers le ciel, il les attache,
au contraire, à cette terre qui le nourrit, et souvent même il les fait pénétrer dans
ses entrailles où, suivant sa croyance, doit se perpétuer sa vie future. En outre, non
content d'avoir placé son oeuvre à coté de l'oeuvre de la nature, il façonne celte
nature elle-même, il taille la roche en temple ou en statue; il se l'ajjproprie et il
en fait sa chose.
L'art égyptien est, donc, bien exactement et historiquement, Tart dans sa manifestation
i)remière; c'est-à-dire, celui dont tous nos arts tirent leur origine : et cela,
au même titre que notre civilisation et les civilisations intermédiaires dériveiit de celle
de l'Égypte ; parce qu'il ne saurait plus y avoir aucun doute sur son antiquité jirimordiale.
11 y n, en effet, un abime de plusieurs siècles entre les j)yramidcs et les prétendus
palais de Nemrod ; (nous disons prétendus parce que tout ce qu'on a pu retrouver de
Babylone, de notre temps, appartient à uu âge his_torique plus récent encore) d'où il
résulte (en voyant que les monuments égyptiens remontent i.lus haut que lout antre
vestige des civilisations qui se partagèrent le nH)nde liabité aux premiers âges) (pi'il
iiVstV'sP^^'^"^^ ^^^ s'étonner que les plus anciens spécimens de Tari aient api)artenu
lu vallée du Nil, et soient d'une épo(iue où l'Asie centrale n'offrait aucune preuve
matérielle de civilisation.
Il y eut un temps, et ce temps n'est pas loin de nous, où les Indianistes el les Sinologues
s'efforçaient d'assigner une antiquité bien plus haute à la civilisation des llindo'iis
et des Chinois; mais peu à peu les études hiéroglyphiques ont fait revenir de celte
fausse idée ; et tout porte à croire (lue les progrès de la philologie viendmnt bientôt
démonfrer, irrécusablenient, les liens qui devaient exister autrefois entre TÉgypte et les
trois grandes nations orientales, el prouver que le développement de la civilisation
des Assyriens, des Hindous et des Chinois tient à l'inlluence des progrès antérieurs des
Égyptiens.
On n'ignore pas les anciennes relations entre l'Égypte et la Chine; elles sont attestées
par une tradition chinoise, d'après laquelle cent familles seraient venues de ce
pays éloigné et auraient civilisé le pays du milieu ; du reste, les analogies nomln-euses,
découvertes récemment, entre les grammaires de ces deux peuples semblent venir à
l'appui de cette vieille tradition.
D'un autre coté, plusieurs découvertes récentes, faites en Lycic, en Assyrie et dans
les contrées de l'Asie centrale, viendraient détruire la doctrine, longtemps doniinanle,
du développement spontané des beaux-arts parmi les Grecs, el indiquer la voie
])ar laquelle les arts de l'Égyple iiassèrent, en se perfectionnant toujours, des lies de
l'arcbipel aux côtes de l'Asie Mineure ; puis de ces pays à noire continent : ainsi l'opinion,
dès anjourd'liui assez généralement répandue, que rarchitecture égyptienne
serait le prototype de tous les styles (lui Tout suivie se trouve confirmée à chaque pas :
les colonnes protodori.jucs de l'Égyple se seraient développées dans la Lycie avant de
passer à Sélinonte el à Corinthe; le chapiteau ionien aurait été puisé dans les monuluenls
de l'Assyrie qui l'auraient reçu de l'Égypte ; et le rudiment du chapiteau corin^
tliien existerait dans des tombeaux qui datent de la xif dynastie des Pharaons.
Il en serait de même des oeuvres plasliipies que les Grecs et les Étrusques dénommaient
: archaïques; ces oeuvres ressembleraient, à s'y méprendre, aux oeuvres assyriennes
et lyciennes que maints liens rattacheraient toutes deux aux arts de TEgypte.
C'est en constatant ces rapports d'origine qu'on arrive à reconiuùtre la haute importance
de l'histoire de l'art égyptien comme un des éléments essenliels de l'histoire de
l'esprit humain; aussi, lorsqu'on aura pu étudier et apprécier, à sa juste valeur, l'inilialive
primordiale des Égyptiens dans les arts el la civilisation; lorsqu'on aura suivi,
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