92 L ' A R T ÉGYPTIEN. A P E R Ç U GÉNÉRAL DE L ' É T A T DES REAUX-ARTS. 9?)
surtout l'idéal; la foi ou la religion ramène l'iiomme à la science des sciences, au
principe universel, à la vérité des vérités, à Dieu.
« Le projire du réel ou de la science est la force ou puissance, et pour mieux
dire : Vlmpomnt!
« Le propre de l'idéal ou de l'art, c'est : le Beau!
« La foi seule, le vrai dans toute son énergie, produit le Sublime!
« La présence du beau ou du sublime se manifeste dans le goût, qui naît de la
comparaison des diverses oeuvres de la science, de l'art et de la religion; et c'est le
sentiment du beau et du vrai qui épure et transforme le goût en un jugement sûr et
irrécusable. L'art, en effet, est comme tout ce qui tient à la terre, comme la fleuj*,
comme l'oiseau; il faut qu'il reçoive d'en haut la rosée viviliante, et qu'il s'inspire
du vrai pour engendrer le bien que le beau seul donne aux hommes. L'imposant,
le beau, le sublime; la science, l'amour, la foi, sont le triple voile que l'homme
soulève péniblement pour enlrevoir l'infini ; la mort seule écarte le dernier; aussi le
socle de l'art, la base de l'oeuvre de l'homme, c'est le tombeau. La nature, ce puissant
laboratoire de la vie, n'est que l'immense réceptacle de la mort.
«La mort, voilà pour tous le piédestal de l'immortalité : bientôt le tombeau
devient autel, et enfin temple; après quoi l'hommage à la nature, à la mort, se
change en hommage à l'homme, à la vie, jusqu'à ce qu'il retourne à Celui dont il
découle, à l'Éternel : dans son origine informe l'art se borna à la circonscription du
contour extérieur des objets naturels, puis à celui des parties intérieures. D'abord
imitateur, l'homme suivit les leçons de la nature : l'art de bâtir ou l'architecture fut
le premier art. L'homme ayant été créé libre et indépendant eut aussi la liberté dans
ses créations : l'agriculture seule, en le fixant au sol, donna à ses oeuvres la fixité.
« Tant que l'humanité n'eut qu'un seul langage, elle n'eut qu'une seule tradition
: c'est la désunion des ames qui produisit la désunion des pensées, des
langues; et ce n'est qu'alors qu'on se transmit les faits au moyen de monuments
immobiles et invariables, qui ne changent pas comme les idées humaines; et que la
tradition plus ou moins corrompue, plus ou moins comprise laissa son empreinte sur
des oeuvres informes qui participèrent du plus ou du moins de vérité de la pensée
ou du fait générateurs.
Le premier essai de l'art plastique fut la représentation des oi)jets naturels, ou
l'architecture et la sculpture; le deuxième, celle des objets corporels de l'homme et
des animaux, ou la statuaire et la gravure; le troisième, enfin, fut celle des objels
idéalisés, des pensées, ou la peinture, simplifiée elle-même en écriture, en lettres :
Nous nous contenterons, ici, de citer ce qui a rapport à l'architecture.
« C'est l'amour du sol, qui fit le foyer ou la maison, ou l'arcliilecture civile ;
l'amour pour son semblable, auquel €st dû le tombeau, ou l'architecture l'unèbre;
l'amour du Créateur et la reconnaissance pour ses bienfaits, qui donna naissance
à l'autel ou l'architecture religieuse : puis le foyer, le t.ombeau, l'autel, se confondirent,
et ne firent plus qu'un dans le temple.
a Le premier séjour de l'homme fut la montagne; sa première habitation, la
grotte et l'ombrage de l'arbre : la forme pyramidale des premiers monuments,
rarchitecture souterraine des Troglodytes, le pilastre ou la colonne, viennent de ces
trois objets naturels qui s'offrirent au regard : Ainsi nous devons déjà comprendre
la tente et le poteau, la pyramide et l'obélisque, le temple et la colonnade, surprenante
et majestueuse gradation qui finit à l'élonnement et à la terreur, ces premiers
mobiles du retour des hommes à TEternel.
«La lumière orienta les premiers mortels, et les quatre points cardinaux
donnèrent les quatre faces du carré ou de la Croix, base de presque tous les
édifices; son élévation de la terre vers le ciel leur donna la forme pyramidale; son
rayonnement du centre vers les extrémités produisit le Cercle.
« L'homme gravit la montagne pour se rapprocher davantage de la Divinité, lui
offrir des sacrifices et des prières. Ces monts vénérés furent taillés, sculptés, ornés,
et l'on eut des espèces d'édifices naturels. Ce fut ce qui eut lieu en Asie, où sont
les Immenses galeries souterraines d'Ellora, de Salutte, etc. Puis à l'instar de la
montagne, on fit dans les plaines la pyramide, monument à la fois funèbre et divin,
autel et tombeau, prière de reconnaissance ou de regret, symbole d'avenir et de
passé, qui ne font qu'un tout inséparable et compacte dans le développement que
parcourt l'architecture funèbre ou religieuse.
« Que de volumes il faudrait pour expliquer les innombrables mythes sculptés
dans le roc, bas-reliefs gigantesques retraçant pleins de vie les faits de la nation
antique, pages colossales de pierre où toute une histoire est décrite en caractères
ineffaçables avec le ciseau dans le granit.... »
«L'idée du nombre, ayant été la première comme essence, le fait du dessin
a été le premier, comme création ; l'un est la pensée dont l'autre est la forme.
L'unité, premier degré de l'abstraction dans l'idéal, a donné le point, premier degré
de l'abstraction dans le physique; le nombre deux a donné les deux points, ou la
ligne; le nombre trois a donné le triangle; le nombre quatre le carré, etc. Donc la
puissance du nombre dans l'architecture orientale antique n'a pas été la cause de
l'immobilité et de la fixité des traditions anciennes; non plus que des formes
consacrées par les prêtres, dont nul ne peut s'écarter sans sacrilège.