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souveni on quelques délails, i)ar un miracle de grâcc el d'éloquence, à la liaiileur des
oeuvres gi'ecqiies. 11 n'est pas facile de faire comprendre au lecteur comment une réunion
de lignes conventionnelles et de ligues exactes peut produire seulement un ensemble
satisfaisant, en tant que représentatiou d'un objet quelconque. On pourrait
cependant, pour se livrer à une discussion technique à cet égard, s'appuyer sur de
nombreux exemiiles que nous fournit l'art grec lui-môme! Concédons que ces oeuvres
jirises en elles-mêmes sont des oeuvres hybrides. Mais d'où vient donc que ces oeuvres,
hybrides en elles-mêmes, peuvent nous toucber et nous ])laire? De la grâce, de l'élégance
qu'elles révèlent, de la science de ces lignes prises absolument et comme
lignes, de la suavité de leur contour, du caractère propre qu'elles possèdent, de leur
pureté, de leur naïveté; que sais-je?Le fait est que ces oeuvres nous touchent et nous
plaisent, pas absolument cependant; mais qui sait, si leur étrangeté même ne leur
prête pas un charme qui serait peut-être moins vif, si elles étaient plus simples et
jdus naturelles"?
« Le point de départ de la cause des excentricités de l'art égyptien étant donné,
la convenlion des formes étant docilement acceptée jiar le lecteur (comme autrefois
elle le fut par les artistes eux-mêmes), en étudiant les délails de cet art méconnu
qu'il faut placer, pour le bien com],rendre, en dehors de tons les arts, une foule
de beautés se révéleront tout à coup à nos yeux : justesse d'observation, bonheur
des poses, sentiment des attitudes, grâce des lignes, élégance de l'ensemble, naïveté
des gestes; tout ce qui constitue l'art du dessin (l'exactitude de l'ensemble excej)tée)
se trouvera, avec l'expression, réuni dans les fresques et les bas-reliefs de la belle
époque de l'art.
« Il faut toujours avoir soin de choisir ses spécimens dans les oeuvres de la belle
époque de l'art, parce que, trop souvent, il est très-ulile de le dire, l'art égyptien est
jugé sur des oeuvres grossières et sans valeur. Ces oeuvres, qui datent de l'enfance
de l'art ou de sa dégénérescence, soni presque toujours, on le conçoit, d'une exécution
malheureuse. Le musée du Louvre en renferme un grand nombre qui n'intéresseni
que le.s seuls archéologues. Ce ne sont pas celles-là (jue nous devons admirer, ,ii nn'.me
regarder. Nous ne jugeons pas l'art grec d'après les premiers vases peints, mais
d'après les oeuvres du siècle de Périclès; de grâce, ne jugeons donc pins l'art égyptien
sur les oeuvres contemporaines de la domination des pasteurs, ou de la dynastie
des Ptolémées, mais sur celles des règnes des Aménoph et des premiers Rhainsès.
« Ce qu'il y a ].eut-ètre de plus séduisant dans ces oeuvres, c'est le cachet de
vérité simple, de candeur, de bonne foi qui les caractérise. Toute une race, l'ainée
des races, grave et gracieuse, élégante et noble, sérieuse et belle, revit, et respir..
Af'ERÇU GÉiNÉIlAt. SUR L'ÉTAT DES liEAUX-AUTS. lOt
sonvenl sur ces fresques mutilées, snr ces bas-reliefs martelés. L'art, un art charnuint
jusque dans son indécision, ses naïves gaucheries, ses formes de convciitioii;
ui'i art toujours épris de la puret^é, de la beauté, de la suavité des lignes, même
quanti il les force et les ploie en contours impossibles; un art toujours amonreux
de la richesse des délails, de leur abondance, comme du caractère projire aux
enscnd;)les, soit qu'il reproduise des types gracieux et sublimes, soit ([u'il fasse
revivre des types grossiers cl grinuiçants; un art profond enfin, par l'élévation de la
pensée, comme par la vérité de l'expression, conserve et fait' mouvoir devant les
yeux charmés toute une race ignorée, race perdue. 11 la rejette vivante à la lumière;
il la restitue à la vie; il la [lose devant l'histoire; il évoque enfin, pour la peindre,
cet antique et sublime oublieux, le génie de l'histoire qui, pendanl quatre mille
ans, la méconnut.
« Ici (si nous nons laissons aller au plaisir de feuilleter les recueils de ces oeuvres
vénérables anlant que touchantes), c'est un groui)c de captifs étrangers courbés
sous le fardeau commun qui meurtrit durement leurs brunes épaules : les jarrets
ployés, les reins arc-boulés, la tète basse, les bras tendus en l'air avec effort, ils
cherchent à alléger l'énorme poids qui les écrase, rudement gourmandes par un
scribe armé du bâton. Là, c'est le pharaon, coiffé de la tiare, les oreilles en saillie,
la vipère royale tordue sur son front, le cou chargé du quadruple collier cloisonné
d'or et de cornalines. Debout sur son char de bronze, imbriqué de plaquettes vertes
et cerclé de bandes bleues, il dirige, à travers l'effrayant dédale d'un cl.amp de
l,alaille, une paire d'étalons empanachés, étroitement accouplés sous des sellettes
de métal. Secouant leurs housses brillantes, leurs têtières en peau de tigre et leurs
frontaux d'or, les naseaux gonfiés, l'oeil en feu, le cou reployé sur le poitrail, ils se
cabrent en vain sous la lourde main qui fait peser sur leurs barres un mors à
larges rondelles. Ici, c'est l'humble pâtre pansant, à l'ombre d'un sycomore, ses
grands boeufs blancs et roux, à l'air placide, en fredonnant sa chanson monotone.
Là, c'est la reine à peau mate et rose, au profil suave, aux lèvres sensuelles, à l'oeil
doux et rêveur: Toute nue sous sa robe de gaze, elle respire gravement une fleur de
lotns, le genou ployé sur un coussin bleu soutache d'or et brodé de perles rouges,
son pied cambré, chaussé du patin de cuir fauve, chastement allongé sous sa cuisse
ronde et charnue. Là, c'est un vil troupeau de filles esclaves, rebuts des gynécées,
sans attraits et sans grâce, caste abaissée, étiolée par la misère : On les voit marcher
tontes nues, balançant leurs seins flétris, le corps affaissé sur les jarrets, dans une
attitude fatiguée, souffreteuse, presque bestiale. Tantôt traînant par la main des
enfanls au corps effilé, maigres, à démarche disloquée comme celle des singes;
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