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Selon Portai, chaque couleur avait une double signification, l'une divine, l'aulro
infernale; en outre elle posscdail une signification différente dans chacune des trois
langues, divine, sacrée ou profane : la divine, qui révèle Texislence de Dieu; la sacrée,
qui, née dans les sanctuaires, règle la symbolique de l'architecture, de la statuaire el
de la peinture ; enfin la profane, qui n'était que Texpression matérielle des symboles.
Il est bien entendu que, pour notre compte, nous n'acceptons que ce qui est démontré
hisloriquement ; et que nous n'afllrmons pas que la symbolique ait jamai s été une langue
universellement adoptée, comme on l'a prétendu ; et cela surtout parce qu'elle a varié
à toutes les époques et dans toutes les civilisations.
C'est en nous appuyant néanmoins sur les considérations qui précèdent que nous
croyons pouvoir déjà estimer, comme très-féconds pour l'avenir, les résultats acquis.
Les couleurs hiératiques, que les invasions et les transformations politiques successives
n'eurent pas la puissance de transformer (non plus que les systèmes artistiques,
plus ou moins attrayants des civilisations étrangères), auraient donc été le rouge, le
bleu, le jaune, le vert, le brun, le blanc et le noir.
Aussi quoique leur analyse chimique ne puisse présenter qu'un intérêt historique
fort restreint, ne croyons-nous pas pouvoir passer sous silence certains travaux scientifiques,
qui ont eu pour but de rechercher si leur fixité aussi bien que leur durée
exceptionnelle, sont dues soit au climat de TÉgypte, soit à un savoir profond sur les
combinaisons chimiques auxquelles peuvent être soumises les substances naturelles.
xMentionnonSj entre-temps, que nous avons recueilli, nous-même, un certain nombre
de couleurs minérales : T dans l'Hypogée de Thothotep (Berchet), XIP dynastie;
dans les débris du temple d'IIathor à EUVssacif, XVII? dynastie ; sur les parois d'une
})orte de Médineli-Thabou (Ramsès 111)^ XIX'' dynastie; à Philaî (époque ptolémaïque).
Girardin a trouvé que : 1° les bleus devaient être de la fritte, du sol d'Alexandrie,
mélangée à plus ou moins de craie; les jaunes de diverses nuances étaient des ocres
naturelles additionnées de doses plus ou moins fortes de craie"; 5° les rotifjes de diverses
tons étaient des ocres calcinées, et, })ar conséquent, à base de paroxyde de fer anhydre
comme les nôtres, aussi avec addition de craie; 4" les verts étaient du carbonate de
cuivre naturel que nous appelons malachite, mélangé à plus ou moins d'argile et de
sulfate de chaux pour les nuances pâles ; et 5" les bruns avaient pour base une argile
ferro-manganésifère analogue à notre terre d'ombrer à laquelle on associait plus ou
moins de craie ou de sulfate de chaux pour eu affaiblir les niiances.
Selon Ilaaxman (qui a examiné les conteurs égyptiennes que possède le musée d'antiquités
de Leyde, et a publié le résultat de ses analyses chimiques, en 1859), il y avait :
1° deux sortes de blanc, dont l'un était dû au sous-carbonate de chaux, et l'autre à la
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céruse mêlée avec une substance gommeuse et enveloppée dans une l'euille d'étain trèsmince;
2° cinq sortes de jaune, le premier (blanchâtre), qui était une substance végétale
mêlée avec du blanc; le second (jaune brillant et clair), qui était du sulfure d'arsenic,
autrement dit, de l'orpiment; le troisième, de l'ocre jaune clair; le quatrième
(jaune plus foncé), qui était de l'ocre jaune brûlée ; enfin, le cinquième, qui provenait de
la gomme-gutte : 5" Iroïs bleus, le premier, un bleu azur; le second, un bleu verdâtre ;
le troisième, un bleu foncé; tous trois produits parles combinaisons d'un caillou siliceux
avec un oxide de cuivre : 4® deux rouges, le premier (rouge clair), produit [»ar
l'ocre rouge mêlée avec du blanc ; le second (rouge toucé), produit par l'ocre rouge
brûlée ; enfin, 5" le noir, qui aurait été du sulfure de plomb, extrait du limon du Nil.
Si nous nous en rapportons, maintenant, à l'ensemble des autres opinions nous
seront forcés de reconnaître (en n'oubliant, cette fois, aucune des sept couleurs hiératiques)
:
1° (En ce qui concerne la couleur rouge d'abord), que les plus anciens rouges étaient
simplement des ocres naturelles ou brûlées; car ce serait seulement sous le nouvel empire
que les Égyptiens auraient connu le minium (rouge, on le sait, beaucoup plus biillant
que l'ocre), queThoutmès III aurait rapporté de ses conquêtes eu Asie ; cependant il nous
paraît impossible de leur refuser qu'ils aient connu le cinabre dès les premiers temps.
Mais qu'ils aient ou non préféré plus lard le minium, à cause de son éclat, nous ne
devons pas omettre que, chez eux, le rouge, de tout temps, fut, comme la couleur symbolique
l'emblème de la victoire.
(En ce qui concerne la couleur bleue), que les artistes égyptiens faisaient usage de
trois bleus de tons forts différents : d'un indigo, bleu foncé, tiré du régne végétal; d'un
bleu verdâtre, appelé de nos jour s coeruleum, et d'un bleu azur, préparé au moyen d'un
oxyde de cuivre. De ces trois sortes de bleu, le plus remarquable est le second, dont la
découverte est à elle seule une preuve du génie industrieux des anciens Égyptiens, c'est
nue espèce de cendre bleue, bien supérieure à celles que l'on obtient maintenant; car
celles-ci, on le sait, sont à la fois, attaquables par le feu, les acides et les alcalis, et
même deviennent vertes à l'air en peu de temps, tandis que le bleu égyptien résiste à
l'action de tous ces agents chimiques, et a conservé encore son coloris dans tout son
éclat après plusieurs milliers d'années. Il paraîtrait que, du temps de Vitruve, on
était parvenu à retrouver ce bleu à Pouzzoli, en triturant ensemble du sable de la
limaille de cuivre et de la fleur de nitre (/îos nitri), c'est-à-dire du natron : on en formait
des boules que l'on séchait et que l'on exposait au feu dans un four de potier.
De son côté, Davy assurait être parvenu à le recomposer en chauffant fortement , pendant
deux heures, quinze parties de carbonate de'soude, vingt parties de cailloux siliceux