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IVagmeiits épars, si loin des rivages du Nil; la ville des pharaons devenue comme un
marché ouverl où se fournissent tons les cabinets de l'Europe; que dis-je, les anciens
Egyptiens eux-mêmes, enlevés par centaines de leur sépulture, ne pins trouver d'asiles
que dans nos musées; et la cupidité aidée de la science faire pins en quelques mois que
ne lil en plusieurs siècles la barbarie aidée du temps, on sent qu'il n'y a pas un
moment à perdre pour étudier ces monuments, tandis qu'ils conservent encore sur
leur sol antique leurs formes primitives et leurs traits originaux, tandis que l'Egypte
est encore en Egypte. "
« Une chose qui ne saurait manquer de frapper au premier coup d'oeil, dans les productions
du ciseau égypiicn, c'est celte identité de galbes, celte ressemblance de formes,
celle symétrie de composition, enfin cette exécution systématique, qui portent à croire
qu'elles n'onl pas seulement élé tracées d'après un mémo modèle, mais en quelque
sorle la,liées d'après un même patron. Un docte el ingénieux antiquaire a dit avec beaucoup
de raison que 50 ligures égyptiennes n'étaient que 50 fois la même ligure.
Comme en élevant celle progression à l'infini le résultat sera toujours à peu p i ^ le
même, il suit déjà de celle observation que les Égyptiens n'onl jamai s su ou voulu faire
<iu'une seule figure ; et ce qui semblerait prouver que cette stérilité d'invention tient
moins à de l'impuissance qu'à de l'intention, c'est que celte figure unique, ils l'ont toujours
faite de même, ni mieux, ni pis, ni aulrement, si ce n'est peut-être sous le rapport
de l'exécution mécanique : c'est là, je crois, un des principaux et des plus remarquables
caractères de l'art égyptien ;.et cela posé, il est peut-être ulile et curieux d'en
rechercher les causes.
« Je crois qu'on peut en assigner deux principales. La ju-emière, c'est la nature
même el la puissance du syslême religieux qui, dans l'antique Egypte, asservissait à
des dogmes exlrêmement précis, extrêmement arrêtés, toutes les habitudes, toutes les
actions des citoyens.... Tout ce que nous connaissons de l'histoire et des instilutions de
ce pays nous donne l'idée d'une théocratie austère et sombre qui s'était emparée de
l h o m n i e t o u t e n l i e r , p e n d a n t s a v i e e t a p r è s s a m o r t , et qui ,après avoirconstituélasociété
(l'une certaine manière, l'avait rendue comme inébranlable. A défaut de renseignements
posilifs, la vue même des monuments de l'Egypte nous prouve que la civilisalion, une
lois parvenue au point où l'on voulait .ju'elle arrival, n'avança phis, et .lue les arls y
restèrentslalionnaires comme elle.... La religion avait pour ainsi dire modelé l'homme
lui-même d'après un type convenu, et c'est ce qui fil sans doute .jue les Égypliens
représentèrent toujours celte figure de convention. Ce sont toujours les mêmes
inuls, la même physionomie, le même âge, le même sexe; en un mol, c'est toujours
le même personnage, el non pas les portrails <lc personnages divers; aussi n'oiit-ils
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APERCU GÉÎSÉRAL SUR L ' É T A T DES BEAUX-AUTS. iü9
pas voulu faire des portraits; car pour cela il cûl fallu voir, éUidier el rendre la
nature.
« On dislingue trois grandes classes de peintures ou sculptures égyptiennes: celles
(|ui ont rapport directement aux cultes; celles qui tiennent à des sujets domestiques,
aux usages de la vie civile ; celles enfin qui retracent des événements réels et des personnages
historiques. Il n'est pas étonnant que dans les sujets de la première classe
r a r t i s t e f u t p l u s r i g o u r e u s e m e n t a s s e r v i à sonmodèle, attendu qu'il ne pouvait le modifier
sans blesser la religion elle-même.... Mais dans les sujets d'un ordre inférieur, nous
inclinons à penser que l'artiste a pu se donner un peu plus de carrière, varier ses personnages,
animer ses figures, et se rapproclier enfin de la nature et de la vérilé. On sait
([lie dans les tableaux historiques, le principal personnage est toujours le même; et
soit qu'il honore ses dieux, soit qu'il terrasse ses ennemis, il a toujours la même attitude,
toujours le même mouvement.... Rien ne vit, rien n'est animé dans ces figures;
qu'il soit assis ou debout, r i iommeycst toujours immobile; il ne s'y meut jamais, lors
même ([u'il danse ; il n'y parle jamais, quoiqu'il dise toujours quelque chose.
« Maintenant, si nous jetons un coup d'oeil sur l'architeclure égyptienne dont il ne
nous reste plus qu'un seul genre d'cdiilces, des temples ou des palais qui ressemblent
à des temples, nous y retrouvons encore le même caractère de fixité, la même unité de
])lan, d'ordonnance et d'ornement. A mesur e que, dans les régions supérieures du Nil,
cette architecture se dégage des rochers et des cavernes qui semblent avoir été son berceau,
nous la voyons peu à peu revêtir les formes qui complètent son ordonnance; et
lorsqu'elle est arrivée à ce point elle ne change plus. Elle n'acquiert ni ne perd plus
rien. Elle descend majestueusement le long du Nil,... garde toujours le même caractère, et
l'on sent encore ici que, sous le joug de cette religion inflexible, l'art n'a pas plus
avancé que la société elle-même.
« Une deuxième cause qui me reste à indiquer de cette uniformité de goût et de
caractère qu'offraient les monument s égyptiens, c'est que les arts étaient moins ])rati-
(piés en Egypte comme des arts, proprement dits, que comme des expressions figurées
d'une langue emblématique. Dans cette langue singulière, dont la religion avait inventé
et tracé elle-même tousles signes, des figures de Dieu, d'homme, d'oiseau, de quadrn-
|)ède n'étaient rien moins que ce qu'elles semblaient être; c'étaient des caractères ou
])lutot des mots, dont l'acception une fois fixée ne devait plus changer.... Et comme
probablement ces signes avaient été choisis et ces formes arrêtées à une époque fort
reculée, on leur conserva toujours la même configuration, pour n'en point altérer, aux
yeux du peuple, le sens ou le resiiect.
« Au reste, en refusant aux Égyptiens toute idée d'imitation dans la représentation
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