280 L'ART ÉGYPTIEN.
gré tous SCS efforts, n'aurait jamais pu faire oublier qu'elle avait été sous leur
dépendance.
Quelle que soit la vérité sur ce point historique, il est évident que les Égyptiens,
dès la plus haute antiquité, sentirent combien la couleur ajoute d'élégance et de
beauté à l'architecture, et que, dès l'origine, ils ont colorié tous leurs édifices; mais
qu'elle ne fut, aussi, en réalité, alors, qu'une sorte d'enluminure qui ne procédait
(]ue jiar teintes plates et crues, sans ombres, sans nuances ; en un mot, sans dégradations.
On prétend qu'il n'en fut pas toujours ainsi ; parce qu'à Philge, où les couleurs
sont des mieux conservées, on peut remarquer qu'à l'exception des corniches, du cavet,
des portes enclavées dans les pylônes et des chapiteaux, les murailles extérieures
ne portent aucune trace de celte espèce de coloriage ; tandis que les autres portes
sont peintes en ornements de couleurs variées sur un fond blanc : mais là, le cavet
se trouve encore orné de triglyphes, bleu, rouge et vert, alternés de cartouclies ou
d'autres ornements. Cependant, il est certain que l'on dut complètement colorier
encore (}uelquefois, en enluminure, les colonnes des petits édifices, comme on le voit
dans le temple périptère de l'ouest, qui doit avoir été entièrement peint de la sorte.
Malheureusement, si le fait est vrai, les artistes égyptiens n'observèrent pas la
symétrie d'accord dans la couleur de fond de leurs colonnes : ainsi, pour en donner
un exemple, dans le portique extérieur du grand temple, il y a des colonnes à fond
blanc, et d'autres, immédiatement après, dont le fond est jaune (ocre).
Mais dans les chapiteaux, ce coloriage par teintes plates et crues n'en est pas
moins d'un merveilleux effet : et quoique ce soient les chapiteaux tout de caprices
où les couleurs paraissent avoir été mariées^pour produire le plus grand éclat, qui
semblent les plus beaux, ceux dont les formes sont imitées de la nature et dans
lesquelles notre goût demanderait, peut-être, une plus grande vérité de rendu, n'en
sont pas moins d'une certaine valeur artistique; quoiqu'il nous soit impossible de ne pas
signaler certaines anomalies comme peu acceptables, au point de vue du sentiment artistique
: à moins toutefois, qu'une nécessité hiératique ne les ait imposées à l'artiste.
Citons-en quelques exemples : ainsi, dans le chapiteau daclyliforme de la galerie
de l'est, on est choqué de voir que des écailles du tronc, bleues, jaunes, rouges, vertes,
sont disposées en damier; on ne voudrait pas de côtes bleues aux liges ou branches;
on ne goûte pas non plus ce fond rouge dans le haut et bleu dans le bas ; sur une autre
colonne, qui est presque en face, et dont le chapiteau représente des feuilles
de jonc entrelacées, ou n'aime pas à voir des tiges bleues, des feuilles tantôt jaunes ou
rouges au lieu d'être vertes comme celles du haut. Ou sent que cette enluminure,
cependant n'exclut pas la vérité de la nature ; cela fait qu'on est étonné de ne la point
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trouver où le goût l'exige impérieusement. Mais dans les chapiteaux du [lortique, ou
admire sans restriction l'élégante richesse et l'étonnante magniiiccncc de l'architecture
colorée.
On sait que dans leur intérieur, les édifices étaient entièrement colorés: i)lafonds,
parois, murs et pavé, tout était si)lendidement enluminé. Le i)eu de jour que recevaient
les monuments, leur rendait la couleur nécessaire et donnait une douceur
incroyable aux teintes plates dont les rondeurs de la sculpture forinaicnt les clairs et
les ombres.
Retraçons, maintenant, d'après les sources les plus autorisées, la marche suivie
dans cette application picturale: Les scribes sacrés, qu'on nommait aussi grammatistes,
et qui étaient tous obligés, à cet effet, d'etre habiles dans les éléments du dessin,
dressaient eux-mêmes les représentaLions et toutes les inscriptions destinées à être
gravées, ou sculptées et peintes; un simple contour leur suffisait, le plus ordinairement,
pour indiquer les nombreux personnages, aussi bien que les différentes
espèces de quadrupèdes ou d'oiseaux, que les artistes exécutants ne i)ouvaicnt jamais
se dispenser de faire entrer dans l'ensemble de la composition : à la suite de cette
indication faite par les scribes sacrés, un dessinateur esquissait m extemo les sujets
contenus dans chaque composition, et les cernait d'ocre rouge; après quoi cette esquisse,
revue, était corrigée ou non par un artiste supérieur, et par conséquent plus habile.
Ce n'était qu'après tous ces préliminaires que survenait le sculpteur; celui-ci était
chargé de donner la forme artistique définitive, celle qui devait braver les siècles à
venir; et cela, jusqu'aux plus infimes détails, dans les reproductions les plus simples
comme dans les plus compliquées, ainsi qu'il est facile de s'en rendre compte par les
documents ([ue nous avons eu soin de recueillir.
Le travail du sculpteur achevé, le peintre venait donner à l'oeuvre la dernière
parure, celle sans laquelle il lui était, pour ainsi dire, impossible d'obtenir droit de cité.
Aucun monument, nous dirons plus, aucuu produit plastique de l'intelligence
humaine n'était doue considéré comme terminé avant l'application des couleurs; et
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