l)G L ' A R T ÉGYPTIEN.
« Alors, au poëte liturgique eniprisouné dans les murs du sanctuaire, au poëte
égyptien formulant les litanies d'Isis ou de Thol entre deux rangs de sphinx, au
moine composant une prose pour Noël ou Pâques sous les arcades de son cloître,
succèdent le trouvère homérique ou le rapsode féodal, célébrant les exploits guerriers
de leur suzerain et de ses ancêtres, dans des fragments épiques qui deviendront plus
tard Ylliade et l'épopée chevaleresque des cycles d'Arthur et de Charlemagne.
« La Grèce, au sein de laquelle, dès l'origine, les héros ont égalé et remplacé
les dieux, et détrôné complètement les prêtres, la Grèce appelée à dégager l'individualité
liumaiue, a créé la statuaire distincte de la sculpture architecturale. L'épopée,
qui est la statuaire morale des héros, signale, en Grèce, la première apparition dans
le monde de la poésie humaine et libre.
« Dans la civilisation la plus antique et la plus primitive qui nous soit connue,
en Egypte, l'art né sous sa forme la plus synthétique et la plus complète, avec
les gigantesques spéos qui servaient de temple au panthéisme, l'art se divisa, pendant
la suite des siècles, jusqu'à produire cette multiplicité de genres qui témoigne du
travail aiuilytique des sociétés plus avancées.
« Un exemple, de cette union de tous les arts dans un seul et au sein de la religion
(union qui caractérise leur état primitif), nous est donné par une civilisation
unique dans l'histoire, qui est morte tout d'une pièce sans avoir été entamée dans
son essence, sans avoir jamais franchi le degré où la plaçait l'ordre de sa naissance
dans l'âge des sociétés humaines.
«L'Egypte, quoiqu'elle eût subi trois conquêtes, trois dominations étrangères
avant de s'anéantir entre le christianisme et l'islamisme; l'Egypte, sous les proconsuls
romains comme sous les Ptolémées et les satrapes, n'a jamais vu se modifier chez
elle les rapports des arts entre eux, ni s'altérer la loi de l'art primitif né, au sein
de sa religion immobile, sur les confins du naturalisme asiatique et de l'humanisme
occidental.
«L'architecture reste en Egypte l'art dominateur; elle règne solitairement, et
garde tous les autres arts enveloppés sous sa synthèse généi'atrice ; la sculpture et
la peinture ne s'exercent que sur ses constructions nuissives. Les statues ne se
hasardent hors de l'enceinte sacrée que comme un aj)])ejulice du temple. Sur les
parois intérieures des spéos ou sur les faces des pylônes, les ligures coloriées ne
s'étalent que comme les lettres d'une écriture plus matérielle qui retrace sur ces
pages de pierre les exploits des souverains ou les actions des dieux. Il y a ])lus, la
parole qui s'élevait dans ces sanctuaires ne s'est jamais fait entendre au dehors; les
accents de la poésie liturgique qui accomj.agnaient les rites du culte ne reten-
APEÏiÇlJ GÉNÉRAL SUR L'ÉTAT DES lïEAUX-AUTSlissaient
que comme la voix môme du temple; ces hynines n'out donc laissé d'échos
nulle part, en dehors des édifices sacrés : El lorsque l'âme s'est retirée de ces monuments
avec la religion qui les avait enfantés, l'Egypte tout entière est resiée muette. A
part les chants sacrés qui exprimaient les diverses péripéties des drames du sacrilice et
de l'expiation, poënies qui n'ont jamais été confiés aux mémoires profanes et qui
s'effacent aujourd'hui avec les peintures et les bas-reliefs des cavernes mystiques; à
part ces hymnes récités dans les temples, l'Égypte n'a pas eu de poésie. Januiis la
poésie n'a institué une fonction, un art indépendant du ministère sacerdotal. Ce
pays n'a jamais eu de libres chanteurs, de dramaturges laïques; aucun indice de la
parole égyptienne ne subsiste, qui ne soit sorti de la bouche d'ua prêtre; et cette
parole, cette poésie est restée adhérente à l'architecture.
« Le Nil a-t-il eu son Iliade comme le Simoïs et le Gange? Daus l'épopée (le premier
genre qui apparaît dans la poésie au sortir de l'hymne), l'humanité prend pleine
possession de la poésie. Cette épopée, qui dut avoir pour sujet la lutte des Asiatiques
et des Égyptiens, a-t-elle jamais eu nu chantre? L'Egypte n'a pas son Homère, |»as
même son Orphée. L'Orphée de l'Egypte a sileucieusemeut érigé des temples et des
tombeaux, et le bruit de ses hymnes n'en a jamais franchi l'enceinte. Ainsi eu
Éoypte, peinture, sculpture, poésie, musique, philosophie même, l'architecture
a L r b e tout, elle tient lieu de tous les arts : c'est l'état primitif de fart, subsistant
(huis son inviolable sévérité. »
Donnons maintenant la parole à M. Ernest Feydeau :
« La première chose, dit-il, qui saute aux yeux de celui qui examine pour lu
première fois un recueil de dessins égyptiens, c'est une certaine contrainte daus les
attitudes des personnages, une roideur magistrale et régulière, une sorte de gaucherie
résultant de l'absence de la perspective ou plutôt d'un parti pris chez l'artiste de vn^ler
les lois de la perspective : C'est encore une symétrie de composition, une ressemblance
de pose et d'allure qui prêle à tous les personnages d'un même bas-relief ou
d'un même tableau le même caractère, le même mouvement, la même forme.
L'observateur, cependant, doit se garder de fermer le livre en haussant les épaules;
si peu qu'il ait le coup d'oeil exercé, il apercevra bientôt, à travers cette identité
de galbes, des dissemblances i>resque insaisissables d'abord, puis très-frappantes :
Il rencontrera des variantes, non-seulement dans les i)oses et les attitudes, mais dans
la disposition des détails et des ensembles.
« Enfin, s'il persiste à bien voir et à comparer, il ne lardera pas à constater
(p,e certaines parties du corps humain, seules, sont réellement défectueuses; et (pie,
par un miracle d'adresse ou de naïveté, elles sont soudées, comme naturellement,
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