d06 L ' A R T ÉGYPTIEN.
ressemblance du visage luiniaiii et parfois si bien idéaliser son doux profil, que nonseulemenl
ils reprcsentèrenl tous les types possibles, depuis celui du nègre jusqu'à celui
du Juif, de l'Assyrien et du Grec lui-même, mais que tous les portraits des rois, soit
qu'ils soient peints dans les tombeaux, gravés sur les palais, sculptés sur la face dés
sphinx, se ressemblent si bien qu'il est impossible de ne pas les reconnaître ; ils vous
disent: Non. — On a beau leur répéter et leur prouver que les arts, en Égyple, ne
restèrent jamais slationnaires, qu'ils ne cessèrent jamai s de progresser jusqu'au jour de
la décadence, ils vous disent: Non. —On a beau leur répéter et leur prouver, encore
avec Ghampollion, que les Égyptiens avaient quelque vague idée de la perspective,
puisque les animaux qu'ils représentent sont toujours en perspective, et les hommes
quelquefois, ils vous disent: Non. —Quand on leur parle de Karnac, ils répondent:
Parthenon ; quand on dit: Ilathor, ils répondent Vénus de Milo. Ils vous feraient prendre
l'art grec en horreur, si l'on pouvait ne pas toujours admirer cet art sublime par excellence,
cet art, le premier des arts, mais dont les splendeui's n'enlèvent rien au mérite
ni à l'originalité des autres. S'appuyant sur des exemples grossiers enfouis dans nos
musées, et sur des planches mal gravées reproduites dans nos livres, ils disent que l'art
égyptien ne mérit e pas le nom d'art. Ils sont allés en Egypte, il est vrai, mais ils n'y ont
rien vu; ils ne se sont même pas doutés de ce monde plein de vie qui s'agite sur des
milliers de bas-reliefs martelés.
c( Pour nous qui n'avons pas adopté cet esprit de dénigrement injuste, et qui ne
basons pas nos opinions sur des études faciles, nous n'imiterons ni cet entêtement ni
cet aveuglement. Nous croyons avoir montré, en essayant d'esquisser quelques-unes des
fresques égyptiennes de la belle époque, que, malgré leurs contours irritants, gauches,
imparfaits, ces fresques, quand on les choisit bien, révèlent un certain sentiment, une
certaine grâce, une originalité puissante, une science des lignes assez profonde pour
faire accepter parfois l 'absurdi t é des lignes, enfin une élégance d'ensemble et de détails
u n p e n austère sans doute, mais pleine de caractère et d'expression. Nous répéterons
ici que, en dehors de la règle hiératique, la nature égyptienne elle-même se prêtait un
peu à la roideur des poses et du maintien, et nous ajouterons que cette même roideur
de contour, qui se retrouve dans l'enfance des arts plastiques de tous les i)euples, se
rencontre également dans l'art de la parole, dans la poésie. La Bible, comme Y Iliade.
comme les poërnes hindous, quand on les traduit littéralement, nous montre souvent les
mêmes contours roides et gaucbcs. Qui de nous, aujourd'hui, oserait écrire aiiisi le quatrième
verset du Canlicjue des cantiques: «Attire-moi vers toi ; nous cour rons a]irès toi, le
roi m'a fait entrer dans ses appartements, nous nous réjouirons et nous serons en joie, à
cause de toi; nous mentionnerons tes amours plus que le vin; les hommes droits
APEUÇU GÉNÉRAL SUR L'ÉTAT DES B EAUX-ART S . 107
l'aiment >> Eh bien, ce verset et beaucoup d'autres ressemblent un peu comme contours
aux premiers linéaments des arts de l'Egypte et de la Grèce elle-même. Cessons doue
d ' « c r les artistes de PÉgypte de goût dépravé et d'incurie. Prises dans leur enseml.le,
lem-s oeuvres, en tant qu'exactitude, ne supportent pas l'examen, mais quelques-uns de
leurs détails, en les isolant des autres, sont souvent parfaits. De simples détails, maintenant,
peuvent-ils contenir, exprimer, révéler ce sent iment que nous appelons du nom
d'idéal? Oui et non. Non, dans le sens absolu, car qui dit idéal dit perfection, et les
peintiires égyptiennes ne sont jamais parfaites dans leur ensemble ; oui, dans le sens
relatif, car il suffit d'un geste ou d'un trait pour idéaliser tout un personnage, tout uu
t a b k a u ; et le seul portrait du fils de Rhamsès II nous fait plus longtemps rêver sur
PÉgyptel et nous apprend plus de choses sur la vieille Égypte, que tel temple, tel vase,
tellt statue grecque que je ne veux pas nommer, ne nous révèle de faits sur la terre
classique des beaux-arts.
« Enfin, dans le sens propre, les bas-reliefs et les peintures égyptiennes nous prouvent
que les artistes égyptiens avaient conscienee de l'idéal. Leur idéal, sans doute, n'est
pas Pidéal grec. Il ne s'agit pas de savoir si, à notre point de vue, il est plus ou moius
élevé ! Affirmons qu'il existe et qu'il est autre. Les Égyptiens, comme tous les peuples,
concevaient l'idéal sous la forme qui se rapprochait le plus des types de beauté les plus
purs qu'ils avaient sous les yeux. La négresse elle-même a sa beauté, tout comme la
blonde et pale vierge de la verte Érin. Artistes, sachons comprendre chacune d'elles. »
En méditant ces aperçus que penser du mauvais vouloir qui semblait avoir décidé,
jusqu'à la fin du siècle dernier, que la civilisation égyptienne serait reléguée à jamais
au rang des fables?
Nous aurions borné là nos citations si nous n'avions pas été obligés de reconnaître
que les trois points de vue qui précèdent, quoiqu'ils soient un peu dissemblables d'allure,
tendent, iaconlestablement, au môme but; nous ne pouvons donc nous dispenser de
mettre, en parallèle, les considérations sur le caractère des arts de l'antique Egypte,
lues parRaoul-Rochette dans la séance générale des quatre académies, le 24 avril 1825.
Voici en quels termes cet eminent professeur, qui ne pouvait alors prévoir les conséquences
de la découverte de l'immortel Champollion, fit connaître sa pensée :
« Il s'est établi, entre les antiquaires de tous les pays, une émulation si vive à qui
dépouillerait le plus habilement cette terre classique de ses vieux monuments, à qui
fouillerait avec le plus de succès sous ses immenses décombres, que l'on doit c raindr e de
n'y plus trouver, dans quelques années, que la poussière de ses temples et, pour ainsi
dire, que les ruines de ses ruiiies.
« A voir, en effet, les monuments de l'Égypte transportés pièce à pièce, et par
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