Oi I / A U T ÉGYPTlEiN.
« Ce qui entoure riiomnie en Orient étant imposant et majestueux, les créations
de riiomnie dureiit imiter ce qui s'olTrait devant elles, et Tari y tut mystérieux et
colossal; car, au commencement, il est lourd et pesant, il s'attache à la terre qui
l'engendre, à son sol nourricier : il ne devint plus léger, plus svelte qu'avec la
civilisation, qui finit par le rendre aussi mobile que la pensée humaine : c'est ainsi
•que l'enceinte obscure s'élargit, s'agrandit, et quelle se développe à mesure qu'elle
sort des ténèbres mystérieuses du passé.
« Le colossal et l'imposant, voilà le caractère de l'art hindou ou de l'art égyptien :
mystérieuses et saintes, leurs créations souterraines semblent sortir du sol et garder,
au-dessus, l'empreinte gigantesque et les profondeurs sombres de leur origine. Nulle
part, si ce n'est dans ces deux pays, on ne trouve les deux espèces d'architecture,
dont l'une creuse dans les entrailles du roc les monuments, et l'autre les élève
vers les cieux. comme autant de rocs eux-mêmes, taillés et ornés par la main de
l'homme.
« Toutes ces constructions vont se rapporter dans l'antiquité la plus haute à un
type immuable qui se perd dans la nuit des temps. Non-seulement les dieux et les
personnages sont de taille gigantesque dans les deux contrées; mais les pierres ne
sont liées entre elles par aucun ciment; le bois, taillé en queue d'aronde à ses
deux extrémités, était seul employé, en Egypte comme à Éléphanta, à unir les pierres
entre elles.
« Dans rinde, deux j^iliers d'une grandeur colossale remplacent devant la pagode
les pylônes massifs ou les deux obélisques qu'on trouve en Egypte; quant aux i)agodes,
elles ont toutes la forme obéliscale. Les temples hindous, comme les temples égyjitiens,
ont souvent le platbnd peint : certains tehoultry ou hôpitaux sont aussi
ornés d'un zodiaque : la voûte, le cintre et le pont sout totalement inconnus; on
y voit le serpent adoré et les monolythes à profusion. L'intéi'ieur des pagodes, le
plus fréquemment massif de maçonnerie, entouré d'enceintes sacrées comme le
temple égyptien, consiste au centre en une petite salle carrée, une, sanctuaire
impénétrable et simple à la fois comme la religion elle-même.
« Chez l'un et l'autre peuple, bas-reliefs innombrables, mythes plastiques, récils
divins sculptés sur la pierre. Si l'un remplit les trois cent soixante vases de l'île
de Philoe en l'honneur d'Osiris, le brahmane ne fait ]tas moins de libations avec
ses coupes sacrées. Le siulià hindou, ce lion à face humaine, ce guerrier sur lequel
s'appuie Bralimà ou la religion elle-même, ne semble-t-il pas avoir imprimé son ongle
sur toutes les pierres de l'art égyptien, puis s'être couché dans le désert? Personnilication
vivante dans l'Inde, il est devenu pétrification muette en Égvpte; où, image
APERÇU GÉNÉRAL SUR L ' É TAT DES R E A U X - A R T S . 05
de l'énigme que renferme la iilialion des peuples et des idées, il serait resté au milieu
de ses tlots de sable!
« En vain la science l'a interrogé, son oeil est totijours resté immobile; jamais
sa paupière ne s'est refermée : on a bean questionner cette prunelle vide, l'antiquité
ne nous a donné que son nom. En vain nous l'avons répété autour de lui, le sphinx
n'a pas répondu ! )>
On comprendra facilement qu'en reproduisant ces pages éloquentes, mais un peu
confuses, nous nous abstenions de tonte réHexion : dans ces i)rofondenrs, il y a place
pour tous les systèmes; mais l'intérêt qui les a dictées, la pensée qui les a iuspirées
ont réveillé en nous le souvenir des enthousiasmes qu'alluma, chez MM. de Laprade
cl Ernest Eeydeau, le mirage de la terre d'Egypte. Nous allons aussi leur céder un
instant la parole.
Écoutons, d'abord, M. de Laprade.
u Au commencement, dit-il, un art unique réunissant les arts plastiques (la
sculpture et la peinture) avec les arts de la parole (la musique, la poésie, etc.) dans
un même but religieux et constituant le culte, rarchitecture resta le corps, la forme
extérieure de cet art dont l'esprit intime était la prière.
« Un premier morcellemeut dégagea l'esprit du corps, la poésie de l'architecture;
ensuite la poésie religieuse le céda à l'épopée héroïque, en même temps que
l'architecture laissait échapper la statuaire de sa dépendance; enfin l'art, devenu
ainsi tont humain, mais héroïque, de divin qu'il était d'abord, subit sa dernière
transformation en se faisant démocratique et vulgaire par la peinture et par le drame.
« L ' a r c h i t e c t u r e est l'art religieux par excellence; elle caractérise les époques où
domine le sentiment du divin, et par conséquent les époques de fondation, et d'organisation;
celles où le lien social est le plus fort, où les nations pleines de séve et de
jeunesse ont devant elles un lojig avenir. C'est l'art de TÉgypte sacerdotale, dn moyen
àgc théocrati(iue. La poésie qui lui correspond est resserrée sous la forme de l'hymne;
elle n'est autre chose ([uc le rituel des prières; la voix du prêtre est seule libre dans
le sanctuaire.
« L'architecture règne aux époques où les nations sout pour ainsi dire muettes
autour tin sacerdoce; où la parole n'a pas atteint son premier degré d'affranchissement.
Aussitôt que la classe guerrière, émancipée la première du jmig sacerdotal,
s'empare de l'initiative sociale; des que s'ouvre l'ère des individualités puissantes
avec le règne de l'aristocratie, la statuaire se dégage de rarchiteclure pour reproduire
d'une façon isolée et distincte les ligures des lu-ros qui ont concpiis une
personnalité éuergi(pie en dehors de la masse sociale.
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