54 L'AUT ÉGYPTIEN.
Le mémoire que fit paraître Cliampolliou simplifiait la question à ce point, qn'on
pouvait prévoir que la découverte était réalisée. Aussi Sylvestre de Sacy ne tarit-il
pas en éloges sur ce beau travail : Mais ce qui donna à Champolliou un immense
avantage, c'est qu'il était parvenu à écrire les hiéroglyphes avec une grande Facilité,
el qu'il les avait pour ainsi dire gravés dans sa mémoire.
Enfin un hasard heureux vint ajouter un document nouveau à la pierre de
Rosette. En 1816, Bankès, voyageur anglais, avait lait déblayer l'obélisque de Philîc,
sur le socle duquel se trouvai! une inscription grecque qui était la copie d'une inscription
hiéroglvphique contenant une pétition adressée au roi par les prêtres d'Isis à
Philoe. En 1821, ce monument a été transporté en Angleterre; mais Cailliaud avait,
à Philte même, copié l'inscription, et la donna à Letronne, qui sut en tirer parti; car
il prouva que cette inscription avait un rapport étroit avec celle qni était gravée en
caractères hiéroglyphiques sur le fût de l'obélisque. Bankès se trouva ainsi forcé
de donner le jour à ces deux inscriptions, et il en envoya des copies à l'Institut :
Grâce à elles, Champolliou fut mis à même de vérifier ses hypothèses sur la valeur
])honétique de certains signes du cartouche de Ptolémée, ce qui confirma pleinement
ses premières vues; tandis que Young, qui avait eu sous les yeux l'inscription
de l'obélisque, n'avait rien pu en tirer.
Partant, d'abord, delà comparaison du groupe hiéroglyphique de l'inscription de
Rosette, qui correspond à Ptolémée, avec celui qui, sur l'obélisque de Phila?., correspond
à Clcopàtre, Champolliou fut conduit à reconnaître l'identité des deux signes : Mais
T u n e des valeurs n'étant pas représentée i)ar un signe unique dans les deux inscriptions,
il dut en outre conclure que les Égyptiens avaient des signes différents pour
représenter une même lettre; il les appela homophones, et cette conjecture fut bienlot
vérifiée et surabondamment démontrée par les monuments. Cherchant ensuite à
se rendre compte du choix de tel ou tel signe pour représenter tel ou tel son, il reconnut
que la langue parlée avait joue un grand rôle. Il se demanda i)ar exemple pourquoi
le A était représenté par un lion, plutôt que par tout autre signe? il s'aperçut que
Labo, mot copte qui signifie lion, commence par L; il en fut de même pour Mouladj
qui signifie chouette, et commence par M; le signe phonétiiiue correspondant à l'articulation
M se trouva représenter la chouette : en un mot chacun des signes phonétiques
est la figure d'un objet dont le nom dans la langue ])arlée cominence par la
lettre à laquelle ce signe est affecté : Cependant les objets dont le nom commence
par une lettre désignée ne sont pas tous i)ropres à représenter graphiquement cette
l e t t r e ; car il en serait résulté trop de confusion; on s'est servi seulement de ceux de
ces objets qui sont les plus connus, les plus vulgaires, et dont la forme était le plus
INTRODUCTION HISTORIQUE. 55
sûrement déterminée et pouvait être le plus facilement transcrite. I.a langue parlée
jonc donc un grand rôle dans l'écriture hiéroglyphique.
Enfin l'analyse des noms de Ptolémée et de Cléopàtre mit aussi Champolliou en
possession de plusieurs autres signes phonétiques; et l'application de ces signes à de
nouveaux cartouches lui en fit découvrir encore un certain nombre; de sorte ([iie l'alphabet
entier fut bientôt découvert; car partmit où se trouve le cartouche de Ptolémée
on lit les mêmes signes que dans l'inscription de Rosette ; il en est de môme de celui
d e Cléopàtre.
Une fois en possession de son précieux alphabet, Champolliou se mit à l'appliquer
aux noms des empereurs romains, aux noms mêmes des rois du pays, et c'est dans ce
travail d'extension, ou pour mieux dire de perfectionnement, qu'il montra une sagacité
merveilleuse. Les résultats qu'il obtenait étaient en général parfaitement d'accord avec
ceux qui se déduisaient de l'histoire ou des inscriptions grecques. C'est ainsi qu'après
avoir déchiffré le nom de Tibère sur un monument qu'il pensait avoir été élevé par les
ordres ou sous le règne de cet empereur, il retrouvait, sur une momie de cette époque,
le même nom que l'inscription grecque lui avait indiqué.
C'est aussi la comparaison des divers monuments qui lui fit connaître les litres
honorifiques des Lagides (comme Sôter, Philadelphe, Philopator, Philomélor, etc.), qui
servaient à les distinguer les uns des autres : Champollion en reconnut bien vite leurs
équivalents graphiques, en comparant des monuments bilingues.
Dans un temple de Thèbes, que lingot et Gau avaient classé dans la catégorie des
monuments récents et appartenant à l'époque ptolémaïque, il existe une porte intérieure
garnie de bas-reliefs très-curieux. On y voit une grande figure et un cartouche
(pii est celui de Ptolémée Évergète IL Ce roi s'y trouve en face de quatre figures
d'hommes, au-dessous desquelles sont quatre cartouches ; puis viennent quatre figures
de femmes, accompagnées également de quatre cartouches : Ce bas-relief représente
Évergète II adorant son père, le père de son père, et le père de ce dernier. On avait
donc dans ce tableau l'occasion de trouver les noms distinctifs des quatre premiers
rois de la dynastie des Lagides : Sôter, Philadelphe, Évergète, Philopator, en même
temps que ceux des quatre premières reines.
U'un autre côté, le nom et le cartouche hiéroglyphique de Cléopàtre, femme d'Évergètell,
se trouvent sur le propylon d'un temple d'Apollonopolis parva : Or, comme on
savait que cette Cléopàtre régna pendant plus de trente ans sous les noms de ses deux
fils, Sôter et Alexandre, on s'aperçut alors aisément que l'on avait trouvé des cartouches
identiques à ceux du temple de Thoth à Thèbes, et qui ont rapport aux premières
Cléopàtres et au premier Sôter. Enfin, de ce qu'ailleurs on rencontre encore le car