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par le tems ou par une main ennemi des
monumens.
Je ne cessai de suivre tous les mouve-
mens de mon nuage. Une partie s’en étoit
détachée ; et passant par l’échancrure qui
sépare le Diable de la Tablé, elle étoit allée
se fixer au revers de celle-ci, et y pa-
roissoit suspendue comme dans un état de
stagnation, sans avoir avec la grande masse
aucune autre communication. Vers les cinq
heures celle-ci sembla s’affaisser et devenir
plus pesante. Je crus qu’elle alloit se précipiter
sur la ville et y occasionner un de
ces ouragans si communs au Cap dans les
mois de mars et avril, plus rares dans la
saison où nous nous trouvions ; je me trompai.
Sans diminuer de hauteur, elle dé-
borba le plateau, descendit au dessous de
«es rebords, et, circulant ainsi le long de son
escarpement, alla rejoindre le nuage du Diable
avec lequel elle se confondit pour n’en
plus faire qu’un seul. Tout ceci s’opéra sans
le moindre dérangement Hans l’air. La rade
elle-même cessa d’être agitée par le vent;
et le calme universel me dit assez que je
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devois renoncer à l’attente d’un orage dont
le spectacle m’auroit beaucoup intéressé,
mais dont les effets n’auroient pas également
amusé les habitans de la ville qui n’a-
yoientpas le même intérêt à ces observations.
L’approche de la nuit vint me dédommager
un peu de cette contrariété en m’of-
fiant un tableau différent;, il est vrai, et
moins rare, mais plus sublime peut-être que
cette grande témpête sur laquelle je m’é-
tois avisé de compter. C’étoit le coucher du
soleil dans l’océan. On pourroit dire que c’étoit
l’arrivée du maître de la nature aux
bornes du monde. Je vis ce globe de feu
se plonger et disparoître avec majesté dans
les eaux. Quel ravissant spectacle il offrit
à mes yeux étonnés , lorsque , rasant
la surface des mers > il parût tout-à-coup eu
embrasser l’abîme, pour rejoindre, comme
le dit Ossian, l’immense palais des ténèbres.
A son approché les flots élèvent leurs
têtes agitées pour se dorer de sa lumière-;
leurs couleurs diamentées par- ses rayons
se dégradent insensiblement, et soudain ils
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s’abbaissent lorsqu’il a disiparu. Déjà l’ôcéaa
«ommençoit à h’êtrè plus éclairé et limrnen