
9 ? ' V O Y A G »
toit mon intention. Tout autre peut-être, k,
ma place, eût regardé la proposition de Percheron
comme très-indiscrette , moi j ’en
fus ravi 3 et j avoue que s’il ne m’eût pas
prévenu, j étois résolu à la lui faire. Jusqu’alors
je n’avois point encore vu d’équipage
soulevé contre ses chefs 3 ce spectacle
étoitun tableau trop neuf 3 et tout objet extraordinaire
, toute nouveauté qui sembloit
me promettre une sensation nouvelle, avoit
âmes yeux un attrait irrésistible. Sans réfléchir
aux suites de mon étourderie , sans
songer que j ’allois de gaieté de coeur m’exposer
à un danger certain, je pris heure
avec Percheron, et ne songeai plus qu’au
départ.
Quoique nous n’eussions que quatre lieues
de chemin, et que nous nous fussions mis en
route aussitôt après le de jeûner, notre marche
se trouva cette fois encore tellement
embarrassée, que nous n’arrivames, à la baie
qu à la nuit close 3 désagrément qui nous
causa beaucoup d’humeur, et ne servit pas à
diminuer la prévention naturelle que noua
inspiroitla cause des insubordonnés.
Les voiles de la nuit sembloient s’êtr®
s ir A t r i ^ tr h? 9S
épaissis exprès pour nous dérober la vue du
vaisseau3 c’est avec une peine extrême et
comme à tâton que nous traversâmes le*
dunes. Je tirai deux coups de fusil pour noua
faire reconnoitre et pour demander qu’on
envoyât une chaloupe : inutile précaution ,
on feignit de ne nous pas entendre. Exposé*
à passer la nuit au bivouac sur la grève,
nous maudissions le navire , l’équipage
et la baie 3 notre colère jugeoit le procès
avant d’en avoir pris connoissance 3 mais le
capitaine, craignant, avec quelque raison ,
que nous ne fussions du nombre des mutins,
qui dans le courant de la journée avoient
quitté le vaisseau pour se rendre à terre , et
qui vouloienty rentrer à cette heure les armes
à la main, n’avoit garde de nous recevoir.
F.nfin , à force de coups de fusil, de cris, de
hais, nous inspirâmes un pep de confiance :
une chaloupe fut mise en mer , et vint nous
recueillir au rivage.
Il faut avoir vu un désordre pareil à celui
dont nous fûmes témoins, pour s’en faire un
portrait véritable. Un bâtiment flottant en
mer, privé de toute communication , semble
un monde étranger 3 on eût dit que la révolte