
V o y a g e
mon intérêt : les traits et les essieux de
mes chariots a voient à chaque instant besoin
d’huile ; depuis long-tems ils n’avoient
été graissés, et je courois le risque de ne
trouver peut - être jamais une occasion si
favorable. ; \
] Ces prétextes, quoique fondés sur une apparence
de raison, étoient loin de triompher
de mes dégoûts. Je venois d’apprendre
que, pendant mon absence , deux de mes
meilleurs boeufs, en allant boire à la rivière
, avoient été entraînés par le courant,
et qu’ils s’étoient noyés; j ’avois lieu de craindre
que le même accident n’arrivât à quelques
autres. D’ailleurs, je m’étois flatté, en
séjournant au Krekenap, de trouver là des
pacages, quirétabliroient mes attellages malades.
C’étoit même pour leur donner le tems
de se refaire dans de campement nouveau,
que je m’étois permis une course de plusieurs
jours. Or, ce canton, ainsi que les
cantons précédens, ne leur avoit fourni
que des plantes grasses ; leur dissenteric
•’étoit encore accrue , et je les retrouvois
plus malades qu’auparavant. Mon dessein
étoit donc de décamper dès le jQtq* même,
e n A f r i q u e . ayy
et d’aller aq plus vite chercher ailleurs une
terre plus heureuse.
Ce projet contrarioit celui du voyage à
la mer 3 mais un désir ardent ne s’éteint pas
si aisément, et je vis bien qu’il faudroit
tôt ou tard y céder. On insista, en me représentant
que la demande qu’on me fai-
soit ne retarderait en rien mon départ, si
je voulois que les six qui iroient à la mer
emmenassent Jonker pour leur servir de
guide 3 que , connoissant très-bien les déserts
que j ’allois parcourir, ils seroient tous
à portée de me venir joindre par des routes
plus courtes au lieu où je me trouverais.
J’eusse trop mécontenté ma troupe,
si je m’étois opiniâtré plus long-tems. Mon
consentement fut reçu avec les transports
d’une joie folle; il ne s’agissoit plus, dans
le moment, ni des maux que nous avions
essuyés, ni de tous ceux qui nous atten-
doient encore ; tout étoit oublié ; l’espoir
seul d’une abondante récolte de graisse
de baleine, rendoit tout le monde heureux.
L’empressement étoit si grand, qu’il fallut
permettre encore que Jonker partit à l’ins-
S 3 .