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peau de veau marin, on n’arrive dans le
cercle qu'avec ces deux ustensiles d’usage.
Dès qu’un des assistans veut charger sa
pipe , il tire son sac , et le fait passer à
ses voisins pour remplir la leur ; c’est là,
une politesse à laquelle on ne manquq jamais.
Chacun fume de son côté. Bientôt
ces fumées abondantes forment un nuage,
qui, après s’être d’abord élevé dans la partie
supérieure du lieu d’assemblée , finit,
en s’accroissant insensiblement , par le
remplir en entier , et par devenir si épais
que les fumeurs ne peuvent plus se voir
les uns les autres. Sparmann a donné sur
tous les détails de ces tabagies , une description
aussi vraie qu’agréable. Pour moi,
que l’odeur du tabac incommode , j ’avoue
que quand ces brouillards infects
commençoient à descendre assez bas pour
parvenir à ma hauteur , je sortois de la
salle et allois en pleine campagne respirer
un air pur et dégorger mes poumons.
Un autre usage qu’une répugnance invincible
m’a toujours empêché d’adopter,
c’est le bain du soir : usage si cher aux
anciens et qui rappelle un tems et des
moeurs
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moeurs si touchans ! Mais quelle distance
, des Grecs aux UlisSe et aux Nausiçaa du
j Cap! J’ai déjà dit qu’en aucun tems ni les
! homiûes ni les femmes ne portaient de
j bas , et que pendant une très-grande par-
tié de l’année celles-ci ne se servoient même
I point de souliers. Or, comme une pareille
[habitude expose sans, cesse les pieds et les
I jambes à se salir, on a paré à cet inconvénient
par une précaution journalière de
propreté: Tous les soirs , avant de se coucher
, la Hottentoté ou la Négresse qui est
chargée du service de la maison, apporte
[au milieu de la salle un baquet rempli
|d’eau, et lave les pieds de tout le monde,
|en commençant d’abord par le père et la
| mère ; püis elle continue par les enfans et
tpar toute la famille , et finit par les étrangers.
Mais comme le baquet sert successivement
à. toute la société , sans que son
tau soit renouvellée une seule fois , on
imagine bien que moi qui ne dé vois en jouir
que le dernier, je n’étais pas fort empressé
d’aller m’y ¡salir. J’alléguois , pour m’en
dispenser, que mon habitude était de ne
jamais quitter mes bottines qu’au moment
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