
à l’infini. De toute antiquité les hommes
ont cherché à s'amufer, à fe délafier, à
fe récréer par toutes fortes de jeux, fuivant
leur génie & leur tempérammem. Longtemps
avant les Lydiens, avant le fiége
de T roy e , & durant ce fiége, les Grecs,
pour en tromper la longueur, & pour
adoucir leurs fatigues, s’occupoient à
difFérens jeux , qui du camp pallièrent dans
k s villes, à l’ombre du loilir & du repos.
Les Lacédémoniens furent les. feuls qui
bannirent entièrement le jeu de leur république.
On raconte que Chilon, un de
leurs citoyens , ayant été envoyé pour
conclure un traité d’alliance avec les
Corinthiens , il fut tellement indigné de
trouver les magiflrats , les femmes , lés
vieux & les jeunes capitaines occupés au
jeu, qu’il s’en retourna promptement, en
leur difànt que ce feroit ternir la gloire de
Lacédémone qui venoit de fonder Bysance,
que de s’allier avec un peuple de joueurs.
I l ne faut pas s’étonner de voir les
Corinthiens paflïonnés d’un piàifir qui,
communément , règne dans les états, à
proportion de l’oifiveté, du luxe & des
richeffes. Ce fut pour arrêter, en quelque
manière,, la même fureur, que les lois
romaines ne permirent de jouer qué jufqu’à
une certaine fomme; mais ces lois n’eurent
point- d’exécution, comme l’attelle Juvénal
dans fa- première fatyre.
« La frénéfie des jeux de hafard, dit
ce poète,, â-i-elle jamais été plus grande?
Car j ne vous figurez pas qu’on fe contente
de rifquer dans ces-académies de
jeu ce qu’on a par Qccaiîon d’argent fur
foi ; on y. fait porter exprès des calîëttes
pleines d’or,.pour les-jouer eu un-coup
de dez. ».
Ce qui paroît plus fingulier, c’efl- que i
les Germains mêmes goûtèrent fi fortement:
les jeux de hafard r qu’aprts avoir^joué
tous leurs biens,, dit Tacite, ils fiiîifloient.
par fe jouer eux-mêmes,.& rifquoiem de
perdre, noviffimojactu, fuivantl’expreffion
de cet hiftorien, leur performe & leur
liberté. ' ; : , l
Tant de perfonnes de tout pays ont mis
& mettent fans ceflè une partie confidé-
rable de leur bien à la merci des cartes
& des dez, fans en ignorer les mauvaises
fuites, qu’on ne peut s’empêcher de rechercher
les caufes d’un attrait fi puiflant.
Un joueur habile, dit Dubos, pourroit
faire tous les jours un gain certain, en ne
rifquant fon argent qu’aux jeux, où le
fuccès dépend encore plus de l ’habileté
des tenans, que du hafard des cartes &
des dez; cependant, il préfère fouvent
; les jeux, où le gain dépend entièrement
du caprice des dez & des cartes, & dans
lefquels fon talent ne lui donne point de
fupériorité fur les joueurs. La raifon principale
d’une prédileflion tellement oppofée
à fes intérêts procède de l’avarice , ou
de l’efpoir d’augmenter promptement fa
fortune.
Outre cette raifon, les jeux qui iaiifent
une grande part dans l’événement à l’habileté
du joueur, exigent une contention
d’efprit trop fuivie , & ne tiennent pas
l’ame dans une émotion continuelle, air ii
que le font le paffe-dix , le lanfquenet, là
bajjette, & les autres jeux , où les évé-
nemens dépendent entièrement du hafard.
A ces derniers jeux, tous les coups font
déctiifs, & chaque événement fait perdre
ou gagner quelque chofe; ils tiennent donc
l’ame dans une efpèce d’agitation, de mouvement,
d’extafe, & ils s’y tiennent encore
fans qu’il foit befoin qu’elle contribue à
fon plailir par une attention férieufe, dont
notre pareife naturelle efl. ravie de. fe dif-
penfer.
Montefquieu-confirme tout cela par
quelques courtes réflexions fur cette matière
: « Le jeu nous plaît, en général,
dit-il-, parce qu’il attache notre avarice,
c’eft-à-dire, l’efpéranee devoir- plus. II
flatte notre vanité par l’idée de la préférence
que la fortune nous donne, & de
.l'attention que les autres ont fur notre
bonheur; il fatisfait notre curiofité, en
nous procurant un fpedacle ; enfin , il
J E U
nous donne les difFérens plaifirs de la J E U I
furprife.
Les jeux de hafard nousintérefTem particulièrement,
parce qu’ils nous préfentent
fans celle desévénemens nouveaux, prompts
& inattendus; les jeux de fociété nous plai-
fent encore, parce qu’ils font une fuite
d'événemens imprévus, qui ont pour caufe,
i’adrefle jointe au hafard ».
Auffi le jeu n’eft - il regarde dans la
fociété que comme un amufement ; & fi
on lui laiffe cette appellation favorable,
c’efl de peur qu’une autre plus exaâe ne
fit rougir trop de monde. S’il y a même
tant de gens fages qui jouent volontiers,
c’eft qu’ils ne voyent point quels font les
égaremens cachés du jeu, fes violences &
fes diffipations. Ce n’elt pas que l’on pré-
tendequeles-jeux mixtes, ni même lesjeux
de hafard, aient rien d’injulle, à en juger
par le feul droit naturel ; car, outre que
l’on s’engage au jeu de plein gré, chaque
joueur expofe fon argent a un péril égal ;
chacun aufîi , comme nous le fupp.ofons,
joue fon propre bien, dont il peut par
conféqüent difpofer. Les jeux, & autres
contrats où il entre du hafard , font
légitimes, dès que ce qu’on rifque de
perdre de part & d’autre' efl égal, & dès
que le danger de perdre & l’efpérance de
gagner ont de part & d’autre une jufle
proportion avec la.chofe que l’on joue.
Cependant cét amufement fe tient rarement
dans les bornes que fon nom promet.
Sans parler du temps précieux qu’il nous
fait perdre, & qu’on pourroit mieux employer
, il fe change en habitude puérile,
s’il ne tourne pas en paflion funeftepar
l’amour du gain. On connoît ace fujetles
vers fi vrais & fl ingénieux de la célèbre
Deshoulières ;
Le defir de gagner, qui nuit & jour occupe,
Eli un dangereux aiguillon :
Souvent quoique l’efprit, quoique le coeur foit bon,
On commence par être dup.e ,
On finit par être fripou.
Les jeux, comme on vient de le dire,
ont été introduits dans la fociété, pour
y procurer l’amufement & le délaflemem.
11 y a trois efpèces de jeux ; les jeux
d’adrelfe, les jeux de commerce & ceux
de hafard. Les premiers exigent des dif-
polîtions phyfiques, qui en éloignent bien
des perfonnes ; les jeux mixtes ou de
commerce demandent de l’attention, 8c
une certaine fagacité qui'expofe le joueur
diflrait, inhabile, ou ignorant, aux pièges
de fon adverfaire. Il efl rare que dans la
lutte de ces deux efpeces de jeux, les
concurrens foient de meme force; 8c le
moindre degré d’infériorité donne à la
longue, au plus faible, un. défavantagc
infini.
Quant aux jeux de hafard, ils devieiv
droientlesplus égaux & les moins coûteux,
fi les joueurs favoient en ufer avec moJé->’
ration. Il n’y a point de frais à payer
au jeu de hafard; au lieu que dans les’
jeux d’adreffe ou de commerce, la dépenfe
indifpenfabie & répétée pèfe continuellement
furies joueurs. On s’efl attaché,
dans prefque tous les articles de ce Duflion-
naire, à prouver par des démonûrations
qu’en ce genre toute fpéculation intérefiee
efl fauflfe , & qu’il n’y a de réel ou de
certain que l’amufement qu-on peut tirer
d’un jeu honnête & modéré.
J e u x j>es E x f a n s d e R o m e .
Tous les enfans ont des jeux qui ne font
pas indifférens pour faire connoître l ’ef-
prit des nations,
Les enfans de Rome repréfentoientdans
leurs jeux , des tournois facrés , des
commandemens d’armee, des tiiomphes
des empereurs , & autres ' grands objets.
Un de leurs principaux jeux , étoit de
repréfenter un jugement dans toutes les
formes, ce qu’ils uppelloient judicia ludere.
Il y avoit des juges, des acçufateuts, des
défenfeurs , 8c des liâeurs, pour mettre
en prifon celui qui feroit condamne.